Politique
Un Grenelle pour "elles"
Féminicide. Dans une précédente LSDJ (n°699), nous analysions les ambiguïtés de ce terme dont l’entrée dans le dictionnaire ne remonte qu’à 2015. Le suffixe permet de jouer de manière subliminale sur la qualification extrême de génocide, ce qui produit un effet de sidération sur l’opinion : les femmes seraient massivement exterminées par leur compagnon ou leur mari ! Certes, les media aiment les vocables frappant les esprits. Mais ce réflexe peut se rapporter à de la manipulation s’il procède par amalgame. Il est regrettable qu'il soit repris sans discernement. Anne-Marie Le Pourhiet, vice-président de l’Association française de droit constitutionnel, y voit le risque d'une remise en cause de l'universalisme républicain pouvant aller bien au-delà du seul cas des femmes. D'autant que la plupart des hommes se comportent de manière tout à fait normale à l’égard de leur conjoint. Le féminicide profite d’une zone grise statistique. En 2018, le ministère de l'Intérieur en recense 121, alors que près de 220.000 femmes subissent des violences de la part de leur compagnon ou de leur ex. Mais que met-on sous cette étiquette ? Où commence la violence ? Veut-on sous-entendre qu’elles sont toutes de même nature et que seul le degré les distingue ? Il nous manque une vision chromatique des actes visés. Pris en tant que tel, le féminicide ne justifie pas le « plan Marshall » d’au moins 500 M€ réclamés par les associations féministes. Cet abus de langage tient moins de la vérité que de l’efficacité, et il l’est au moins sur deux plans :
- il fait sortir les violences conjugales du registre des disputes domestiques, du cercle mortifère de l’indifférence. Le phénomène devient global, à défaut d’être général. L’intimité n’est plus le rempart de toutes les dérives prédatrices. Les témoins se voient ôter le prétexte à un silence gêné. « Depuis des siècles, ces femmes sont ensevelies sous notre indifférence, notre déni, notre incurie, notre machisme séculaire, notre incapacité à regarder cette horreur en face », s’est écrié Édouard Philippe ;
- il fait baisser notre seuil de tolérance à ce type de violences. Qu’une femme meure étranglée, poignardée, brûlée vive, rouée de coups révulse toute personne équilibrée et civilisée. Á Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), Salomé, 21 ans, fut tué par Amin, 26 ans. C’est le 100e féminicide de l’année. On retrouva le corps de Salomé sous un tas de détritus dans une impasse. Le nombre de meurtres importe moins que l’épouvante et la compassion que suscite chaque cas particulier.
Les mesures annoncées par le gouvernement (1000 places d’hébergement d’urgence, procureurs référents spécialisés, possibilité de porter plainte à l’hôpital) n’appellent pas tellement de commentaires. Toutefois, si l’hébergement s’impose pour protéger la victime, ce n’est pas à la femme battue de quitter le domicile mais à l’homme violent. Pourquoi ne pas avoir imaginé une procédure de référé qui aurait placé d’office les contrevenants dans des centres d’hébergement ? Le ministre de la Justice, Nicole Belloubet, s’engage simplement à mettre en place « début 2020 » le bracelet antirapprochement (BAR), un dispositif dont s’enorgueillit notamment l’Espagne. Ce bracelet permet de maintenir à distance les fautifs par le déclenchement d'un signal. Actuellement, le port du bracelet électronique ne peut être appliqué qu'aux personnes condamnées. Une autre mesure d’éloignement est prise : quand le père fera usage de son droit de visite auprès de ses enfants, les juges pourront plus facilement suspendre ou aménager l'exercice de son autorité parentale. Celle-ci sera suspendue de plein droit en cas de féminicide, dès la phase d'enquête ou d'instruction. Mais cela vaut pour les couples déjà séparés.
Concernant les « procureurs référents spécialisés », l’idée est discutable. Expérimenter des chambres d'urgence « pour que les dossiers soient traités en 15 jours » va dans le bon sens mais faut-il spécialiser les parquets au risque de créer un archipel judiciaire ? Des procureurs amenés à traiter uniquement des violences conjugales perdront une vue d’ensemble du droit. Il est étonnant qu’à l’échelon policier aucunes mesures particulières ne soient envisagées. D’autant que dans l’affaire de Cagnes-sur-Mer, des riverains, témoins de la violence du concubin, avaient alerté la police. Selon le parquet, l'équipage s'était rendu « rapidement sur les lieux » mais n'avait découvert aucun élément relatif à l'agression. L'IGPN établira avec précision les conditions de cette intervention mais « entre le moment de l'appel et la présence sur place d'une première équipe de policiers, il s'est passé onze minutes », a indiqué Christophe Castaner. Á deux heures du matin, a précisé le ministre de l'Intérieur, ce n'est pas beaucoup mais en tous les cas, ça a été trop ». Pour l’heure, le gouvernement se propose uniquement de mener jusqu'à fin 2020, un « audit » dans 400 commissariats et gendarmeries pour révéler les « dysfonctionnements » en matière de recueil des plaintes…
- il fait sortir les violences conjugales du registre des disputes domestiques, du cercle mortifère de l’indifférence. Le phénomène devient global, à défaut d’être général. L’intimité n’est plus le rempart de toutes les dérives prédatrices. Les témoins se voient ôter le prétexte à un silence gêné. « Depuis des siècles, ces femmes sont ensevelies sous notre indifférence, notre déni, notre incurie, notre machisme séculaire, notre incapacité à regarder cette horreur en face », s’est écrié Édouard Philippe ;
- il fait baisser notre seuil de tolérance à ce type de violences. Qu’une femme meure étranglée, poignardée, brûlée vive, rouée de coups révulse toute personne équilibrée et civilisée. Á Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), Salomé, 21 ans, fut tué par Amin, 26 ans. C’est le 100e féminicide de l’année. On retrouva le corps de Salomé sous un tas de détritus dans une impasse. Le nombre de meurtres importe moins que l’épouvante et la compassion que suscite chaque cas particulier.
Les mesures annoncées par le gouvernement (1000 places d’hébergement d’urgence, procureurs référents spécialisés, possibilité de porter plainte à l’hôpital) n’appellent pas tellement de commentaires. Toutefois, si l’hébergement s’impose pour protéger la victime, ce n’est pas à la femme battue de quitter le domicile mais à l’homme violent. Pourquoi ne pas avoir imaginé une procédure de référé qui aurait placé d’office les contrevenants dans des centres d’hébergement ? Le ministre de la Justice, Nicole Belloubet, s’engage simplement à mettre en place « début 2020 » le bracelet antirapprochement (BAR), un dispositif dont s’enorgueillit notamment l’Espagne. Ce bracelet permet de maintenir à distance les fautifs par le déclenchement d'un signal. Actuellement, le port du bracelet électronique ne peut être appliqué qu'aux personnes condamnées. Une autre mesure d’éloignement est prise : quand le père fera usage de son droit de visite auprès de ses enfants, les juges pourront plus facilement suspendre ou aménager l'exercice de son autorité parentale. Celle-ci sera suspendue de plein droit en cas de féminicide, dès la phase d'enquête ou d'instruction. Mais cela vaut pour les couples déjà séparés.
Concernant les « procureurs référents spécialisés », l’idée est discutable. Expérimenter des chambres d'urgence « pour que les dossiers soient traités en 15 jours » va dans le bon sens mais faut-il spécialiser les parquets au risque de créer un archipel judiciaire ? Des procureurs amenés à traiter uniquement des violences conjugales perdront une vue d’ensemble du droit. Il est étonnant qu’à l’échelon policier aucunes mesures particulières ne soient envisagées. D’autant que dans l’affaire de Cagnes-sur-Mer, des riverains, témoins de la violence du concubin, avaient alerté la police. Selon le parquet, l'équipage s'était rendu « rapidement sur les lieux » mais n'avait découvert aucun élément relatif à l'agression. L'IGPN établira avec précision les conditions de cette intervention mais « entre le moment de l'appel et la présence sur place d'une première équipe de policiers, il s'est passé onze minutes », a indiqué Christophe Castaner. Á deux heures du matin, a précisé le ministre de l'Intérieur, ce n'est pas beaucoup mais en tous les cas, ça a été trop ». Pour l’heure, le gouvernement se propose uniquement de mener jusqu'à fin 2020, un « audit » dans 400 commissariats et gendarmeries pour révéler les « dysfonctionnements » en matière de recueil des plaintes…