International
Mûr pour le mur ?
Si on prend la peine de l’ausculter, le gros tube digestif de l’information mainstream souffre d’une hernie lexicale quand il s’agit de faire avaler certains sujets à une opinion gavée de messages. Prenons les élections régionales dans les Länder de l’ex-Allemagne de l’Est. Avant même le scrutin, on sait déjà qu’avec l’AfD (Alternative für Deutschland), on nous parlera de « la percée de l’extrême-droite » car qui dit ex-RDA dit lynchage anti-immigrés et groupuscules néonazis. On a le sentiment que cette image-là de l’Allemagne doit perdurer. Bien sûr, ce n’est pas de l’information, c’est de la réassurance : on répercute un message qui réchauffe je ne sais quelles certitudes. À ce compte-là, les « nouvelles » n’en sont plus car celles-ci ne nous surprennent quasiment jamais. Ce mauvais pli répond à un besoin vital : nommer symboliquement la réalité, c’est tenir le pouvoir. Alors, en ex-Allemagne de l’Est, assistons-nous à une « percée du parti d’extrême-droite » ?
En Saxe et dans le Brandebourg, Le Monde relève que l’AfD « est désormais la deuxième force politique au Parlement régional, comme elle l’est déjà depuis 2015 en Saxe-Anhalt et depuis 2016 en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, deux autres régions elles aussi situées à l’est du rideau de fer du temps de la guerre froide ». Cette performance d’un nouvel entrant n’est pas d’une portée comparable aux 93 sièges obtenus au Bundestag lors des élections de 2017. Mais elle s’inscrit dans cette dynamique conquérante. Malgré les conflits internes ayant marqué sa crise de croissance, l’AfD « s’installe durablement dans le paysage politique », comme on l’a dit du FN à chaque soirée électorale pendant 30 ans. Néanmoins, cette « performance » (remarquez qu’on utilise en politique le même mot qu’en sport ou en économie) n’évince pas les partis classiques. S’ils régressent assez logiquement, ceux-ci arrivent en tête et garderont la main par le jeu des coalitions. On pourrait tout aussi bien écrire que la CDU et le SPD demeurent les maîtres de la situation. La percée de l'AfD se fait aux dépens de Die Linke, héritière du parti unique de l’ancien régime, et qu'il remplace dans sa fonction tribunicienne. Ce papier n'y suffirait pas mais la qualification d’extrême-droite n’aide pas à comprendre un phénomène car on l’utilise comme synonyme des épithètes « infréquentable », « violent » et « illégitime ». Le mot « percée » connote ce sens négatif, comme s’il s’agissait d’une foreuse trouant le parpaing de la liberté. Si l’on veut dire que l’AfD prospère sur la peur, c’est certain. Mais celle-ci n’est pas infamante en soi et ne préjuge d'aucun positionnement politique particulier.
Peur du déclassement. Le premier levier de l’AfD est la question monétaire. Outre-Rhin, la Deutsche Mark demeure le symbole de l’unité et de la démocratie. Dans les années 20, son effondrement précipita l’avènement du nazisme. L’euro, et le super-État européen, mutualise les risques aux dépens de l’Allemagne. C’est ce qui fait décoller le parti en 2013. Dans la conscience allemande, l’attachement à la DM est perçu comme un antidote à l’extrémisme. Il est singulier d’y amalgamer l’AfD qui n’est pas hostile à l’UE ni à l’OTAN, faut-il le rappeler.
Peur des migrants. L’autre levier de l’AfD, c’est bien sûr la question migratoire, lit de tous les populismes européens. Depuis 2015, Angela Merkel en est le vrai VRP. Sa « fin de règne » est entachée par sa gestion de la crise des réfugiés, très incongrue dans une Allemagne si soucieuse d’organisation. Cette crise concerne l’Allemagne tout entière. Un trou démographique s’y forme – qui hypothèque l’avenir de sa suprématie.
30 ans après la chute du Mur, une vaste partie de l’opinion est-allemande semble vouloir le rétablir par les urnes. Il s’agit d’une image car nul ne veut revenir à l’ancien régime d’Erich Honecker – qui tournait le mur vers l’intérieur. Le nez sur la vitrine occidentale, les Ossis ne pouvaient que la regarder. Depuis 1989, ils jouissent de la consommation mais comme partout en Europe occidentale, le vieillissement et la désindustrialisation les rattrapent. Des territoires se vident de leurs enfants. Les diplômés partent aux États-Unis. Une forme de torpeur relègue le cœur historique de l’Allemagne à la périphérie d’elle-même. Certains regrettent alors cette ex-RDA, miroir d’un ancien monde qui était sous le discours communiste, militariste, fier et viril, en un mot, fascisant.
En Saxe et dans le Brandebourg, Le Monde relève que l’AfD « est désormais la deuxième force politique au Parlement régional, comme elle l’est déjà depuis 2015 en Saxe-Anhalt et depuis 2016 en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, deux autres régions elles aussi situées à l’est du rideau de fer du temps de la guerre froide ». Cette performance d’un nouvel entrant n’est pas d’une portée comparable aux 93 sièges obtenus au Bundestag lors des élections de 2017. Mais elle s’inscrit dans cette dynamique conquérante. Malgré les conflits internes ayant marqué sa crise de croissance, l’AfD « s’installe durablement dans le paysage politique », comme on l’a dit du FN à chaque soirée électorale pendant 30 ans. Néanmoins, cette « performance » (remarquez qu’on utilise en politique le même mot qu’en sport ou en économie) n’évince pas les partis classiques. S’ils régressent assez logiquement, ceux-ci arrivent en tête et garderont la main par le jeu des coalitions. On pourrait tout aussi bien écrire que la CDU et le SPD demeurent les maîtres de la situation. La percée de l'AfD se fait aux dépens de Die Linke, héritière du parti unique de l’ancien régime, et qu'il remplace dans sa fonction tribunicienne. Ce papier n'y suffirait pas mais la qualification d’extrême-droite n’aide pas à comprendre un phénomène car on l’utilise comme synonyme des épithètes « infréquentable », « violent » et « illégitime ». Le mot « percée » connote ce sens négatif, comme s’il s’agissait d’une foreuse trouant le parpaing de la liberté. Si l’on veut dire que l’AfD prospère sur la peur, c’est certain. Mais celle-ci n’est pas infamante en soi et ne préjuge d'aucun positionnement politique particulier.
Peur du déclassement. Le premier levier de l’AfD est la question monétaire. Outre-Rhin, la Deutsche Mark demeure le symbole de l’unité et de la démocratie. Dans les années 20, son effondrement précipita l’avènement du nazisme. L’euro, et le super-État européen, mutualise les risques aux dépens de l’Allemagne. C’est ce qui fait décoller le parti en 2013. Dans la conscience allemande, l’attachement à la DM est perçu comme un antidote à l’extrémisme. Il est singulier d’y amalgamer l’AfD qui n’est pas hostile à l’UE ni à l’OTAN, faut-il le rappeler.
Peur des migrants. L’autre levier de l’AfD, c’est bien sûr la question migratoire, lit de tous les populismes européens. Depuis 2015, Angela Merkel en est le vrai VRP. Sa « fin de règne » est entachée par sa gestion de la crise des réfugiés, très incongrue dans une Allemagne si soucieuse d’organisation. Cette crise concerne l’Allemagne tout entière. Un trou démographique s’y forme – qui hypothèque l’avenir de sa suprématie.
30 ans après la chute du Mur, une vaste partie de l’opinion est-allemande semble vouloir le rétablir par les urnes. Il s’agit d’une image car nul ne veut revenir à l’ancien régime d’Erich Honecker – qui tournait le mur vers l’intérieur. Le nez sur la vitrine occidentale, les Ossis ne pouvaient que la regarder. Depuis 1989, ils jouissent de la consommation mais comme partout en Europe occidentale, le vieillissement et la désindustrialisation les rattrapent. Des territoires se vident de leurs enfants. Les diplômés partent aux États-Unis. Une forme de torpeur relègue le cœur historique de l’Allemagne à la périphérie d’elle-même. Certains regrettent alors cette ex-RDA, miroir d’un ancien monde qui était sous le discours communiste, militariste, fier et viril, en un mot, fascisant.
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Allemagne : éviter un nouveau mur
Le Monde