Société

 Il est venu le temps des paresseux

Par Judikael Hirel. Synthèse n°2448, Publiée le 11/04/2025 - Illustration : Babeau, président fondateur de l'Institut Sapiens, auteur de L'ère de la flemme Crédits : Buchet Chastel
 Ils sont bien loin, les bâtisseurs de cathédrales, les poilus de 1914-18 ou les résistants de la première heure. Pour Olivier Babeau, auteur de L'ère de la flemme, désormais, les paresseux ont remplacé les révolutionnaires.

C'est un constat qui, il faut bien le reconnaître, fait un peu froid dans le dos. On le savait pourtant bien : à force de gommer les valeurs sociétales et familiales afin de rendre un culte à l'individualisme le plus forcené, on finirait par en récolter les fruits, à savoir, forger une génération de consommateurs obéissants, mesurant leur bonheur à l'aune de ce qu'ils achètent. Mais il semble que la créature ait dépassé le maître, qu'à force de remettre en cause l'intérêt du travail, du temps qu'il faut pour bien faire, nous soyons passés des partisans du moindre effort à l'ère de la flemme. C'est d'ailleurs le titre du dernier ouvrage d'Olivier Babeau, président fondateur de l'Institut Sapiens. Un laboratoire d'idées dédié à réfléchir sur la place de l'être humain, dans le monde technologique et connecté, qui est désormais le nôtre. Pour lui, «la paresse nous tue. Nous n'avons pas fini de le mesurer. L'effort est le ressort caché des civilisations».

On parlait de la fin de l'histoire, nous aurons eu la fin de l'effort. Au fond, tout découle du «jouissez sans entrave» de mai 68, dont les vagues viennent encore aujourd'hui éroder les digues de la société. L'essayiste ressent dans l'Hexagone une crise des valeurs, «un éloge de la paresse qui viendrait des révolutions idéologiques des années 60. Ne pas travailler était perçu comme un moyen de résistance au système.» Du fond communiste de cette époque, des années de mitterrandisme et de culture selon Jack Lang, auront mené à un «tout se vaut» au sein duquel la bourgeoisie, elle, pouvait en effet s'enrichir et se métamorphoser au fil du temps en «boomers», aujourd'hui aussi enviés que honnis. À force de vouer le sens de l'effort aux gémonies, de voir façon Marx, une aliénation de l'homme par l'homme dans toute forme de travail, on a semé dans la société l'envie de travailler moins, pour vivre plus. «Les 35 heures, c'était l'illusion de l'argent gratuit avant la lettre», résume l'auteur de L'ère de la flemme. «La France a une préférence pour le loisir : elle préfère limiter son temps de travail, donc ses revenus, pour augmenter son temps libre. Compense-t-on par une productivité plus grande que les autres pays ? C'était plutôt le cas. Ça ne l'est plus.» Les nouveaux risques associés à ce nouveau mode de vie étrange sont directement liés à la sédentarité et à l'addiction aux écrans : réclusion sociale, diabète, maladie de cœur, dépression, etc. Ainsi, «la civilisation du moindre effort ne ressemble pas au paradis imaginé, mais plutôt à un monde de zombies dépressifs», assure Olivier Babeau.

Dans cette vague de paresse généralisée, où les vélos sont électriques et les repas livrés à domicile, le Covid aura constitué un moment charnière, selon le président fondateur de l'Institut Sapiens, pour qui «quelque chose s'est cassé dans notre rapport à l'effort depuis une génération» : «La rupture complète de rythme pendant deux mois, la découverte de la vie oisive, la réflexion sur le sens de sa vie : tout a pu concourir à ce que le Covid brise durablement notre rapport à l'effort en général et au travail en particulier.» Bref, l'effort n'intéresse plus. «Il n'est plus donné en exemple ni inscrit au nombre des valeurs qui comptent», souligne Olivier Babeau. «On lui préfère les vertus égalitaristes de l'humilité et de la passivité. On ne salue plus le héros, mais la victime. Le tire-au-flanc, le profiteur des efforts des autres est excusé, presque considéré avec bienveillance. On se méfie de l'excellence, quand on ne nie pas tout simplement son existence. L'élitisme était une qualification louangeuse, c'est devenu un reproche. Il est désormais de mauvais ton de se distinguer. Le médiocre rassure.»

Adieu la «première ligne», la «France qui se lève tôt» ? Ainsi, «nous arrivons à la charnière entre deux ères, commente Roger-Pol Droit dans les colonnes du Monde. Celle d'hier était faite de peines surmontées : en se confrontant d'abord aux pires difficultés, on tentait d'accéder au bonheur de maîtriser un art, et de contempler des réussites. À l'inverse, le temps qui s'annonce pratique le culte de la facilité, se fait gloire du farniente et revendique la paresse. Paré autrefois de toutes les qualités, l'effort n'aurait plus désormais que des défauts.» Suffirait-il de réhabiliter la valeur travail pour relancer le moteur, dans cette «fatigue civilisationnelle» ? Hélas, «le travail n'est qu'une petite partie du tableau. Et probablement pas la plus importante, contrairement à ce que l'on pense.» Pour l'auteur, «Aujourd'hui, ces trois piliers de l'humanité – survivre, appartenir à la société et se réaliser en tant qu'être humain – sont donnés sans effort.» Il va nous falloir patienter encore une décennie, car, «si cette ère de la flemme suit la logique cyclique des Trente Paresseuses, elle devrait finir avec 2035.» En effet, d'ici une dizaine d'années, le processus devrait aboutir à son terme naturel, juge l'analyste. La seule solution, selon lui ? Il faut que les Français puissent «toucher le fruit de leurs efforts», que l'on cesse de donner le sentiment que «le système va le confisquer pour le solidariser».

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Olivier Babeau : « On craignait d'avoir élevé des révolutionnaires, c'est pire que ça : on a élevé des paresseux
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