
L'essor de l'ésotérisme en France : simple phénomène social ou danger spirituel
L'essor des pratiques occultes serait-il caractéristique de notre époque ? C'est un sujet dont on parle peu, mais qui touche une grande partie de la société. Analystes du marché de la littérature et sociologues de la religion s'accordent sur la popularité actuelle de l'ésotérisme. C'est en grande partie le succès planétaire d'Harry Potter qui a réhabilité le mot «magie» dans l'imaginaire populaire, créant un terrain fertile pour les éditeurs d'ouvrages ésotériques. Selon un sondage IFOP en décembre 2020, 58% des Français (69% des 18-24 ans) croyaient à une discipline «para-scientifique» (41% dans l'astrologie, 28% dans la sorcellerie...) ; 26% auraient consulté un «spécialiste» de ces domaines au moins une fois. Plusieurs commentateurs affirment que l'essor de l'ésotérisme a été accéléré par la pandémie du covid-19, le climat d'incertitude et le vide social des confinements ayant mené à une «grande phase introspective générale». Dans une société marquée par sa désaffection pour les religions institutionnelles (mais peu attirée par l'athéisme militant) et par une peur de l'avenir, cette introspection s'est traduite en une fuite vers l'astrologie, la voyance, la lithothérapie ou la chaîne #crystaltok en quête de «nouvelles boussoles».
Si le phénomène social de l'engouement pour l'ésotérisme semble indéniable, plus troublantes sont les affirmations de certains prêtres exorcistes, sur le recours aux arts divinatoires, surtout le spiritisme, qui serait réellement dangereux, ouvrant la porte aux forces du mal. À ce sujet, nous pouvons citer plusieurs exorcistes, dont les propos récents ont eu un grand retentissement, tels que les prêtres américains Vince Lampert, Carlos Martins (auteur du podcast très suivi The Exorcist Files), et l'ancien trader de Wall Street Dan Reehil, ou le français P. Jean-Christophe Thibaut, grand spécialiste des pratiques ésotériques, ayant lui-même passé plusieurs années dans l'occultisme.
Le mot «exorcisme» peut certes faire fuir certains lecteurs qui jugent, ridicule ou obscurantiste, l'idée de la «possession» d'une personne par une entité désincarnée. Cependant, il est frappant de constater en écoutant leurs récits que les exorcistes – au moins dans un contexte catholique où leur pratique est extrêmement réglementée – sont des individus pleinement rationnels qui collaborent de manière étroite avec des professionnels de la santé mentale. Ils soulignent que les vraies «possessions» sont très rares, mais qu'il existe des phénomènes chez les possédés que la science n'arrive pas à expliquer. Ces phénomènes, dont la force physique surhumaine, la connaissance de langues jamais étudiées, ou de faits impossibles à connaître par voie naturelle, ne correspondent ni à un trouble de personnalité ni à un «jeu de rôle» de la part de la personne en question. Ces récits sont d'ailleurs constants de pays en pays, et ressemblent fortement aux épisodes de possession décrits dans les textes bibliques et les cas célèbres du passé (Antoine Gay, Illfurth, Earling, «Marta»…).
Les P. Martins, Reehil et Thibaut relatent tous des histoires, où une pratique divinatoire (telle que l'usage du «pendule» ou de la table «Ouija») engagée au début par simple curiosité, aurait conduit à un véritable état de possession – une thèse corroborée par l'expérience personnelle de l'éducateur spécialisé Michel Chiron racontée dans son livre J'ai été possédé (2019). Censée être un outil pour communiquer avec les défunts, la table «Ouija» est peut-être l'exemple le plus frappant de la banalisation des pratiques occultes. Patentée aux USA en 1891, la table connut une grande popularité juste après la guerre de 1914-1918, provoquant une forte mise en garde de la part de l'auteur catholique et spécialiste des phénomènes parapsychiques J. Godfrey Raupert. Comme les exorcistes actuels, Raupert a insisté que les soi-disant «défunts», appelés par la «Ouija», seraient en réalité des démons. En 1966, la société Parker Brothers a commercialisé le Ouija, en tant que jeu de société, à côté du Monopoly, vendant deux millions d'exemplaires la première année de sa production. Plus récemment, le New York Post a publié un article pour Halloween 2023 avec des instructions pour utiliser le Ouija, en toute «sécurité», afin de communiquer avec les défunts, suscitant une vive réponse de la part des exorcistes. Fait plus surprenant encore, le Ouija, a figuré en octobre 2021 dans le numéro spécial Harry Potter du magazine Julie pour les 10-14 ans, de Bayard Presse (appartenant à la congrégation des Assomptionnistes), en tant qu'accessoire pour une «spooky party». À défaut d'avoir une planche Ouija, il suffirait pour jouer de placer un verre sur une table et demander : «Esprit, es-tu là ?» Selon le commentaire éditorial, croire aux superstitions serait «un moyen facile de gérer tes angoisses». Avec un petit conseil quand même : «Et si le verre se met à bouger VRAIMENT tout seul […] ? Heu… dis au revoir à l'esprit, jette ta planche improvisée à la poubelle et… les licornes, c'est bien aussi.» On n'a pas de mal à s'imaginer la réaction des exorcistes, mais il semblerait que la formation des responsables de Bayard Jeunesse n'inclut pas de cours de démonologie…