Le diable s'habille-t-il en Pogba ?
Cette affaire de marabout en service commandé a le mérite de lever le couvercle médiatique d’une marmite infernale : la sorcellerie existe bel et bien. Le mot est encore chaud des bûchers du Nom de la Rose. Mais on aurait tort de s’arrêter aux diableries du Moyen-Âge. Des forces invisibles sont toujours invoquées pour nuire à autrui et des âmes noires se vendent encore au prince des ténèbres. Que les marabouts soient des imposteurs et des escrocs n’y change rien, leur pouvoir ne venant pas des rituels qu’ils pratiquent mais des esprits qui leur répondent. Et ceux-ci sont toujours déchus, fourchus et cornus, y compris lorsque l’intention du « client » n’est pas délibérément malveillante. Beaucoup de personnes fragiles ou crédules – et pas seulement des Africains vivant dans leurs arrière-mondes – fréquentent des voyants, guérisseurs et autres diseurs de bonaventure sans se douter qu’elles sifflent un démon qui ne demande que ça.
Le diable portant pierre, l’affaire Pogba donne envie à quelque media d’aller chatouiller les sabots du bouc. Le Parisien consacre deux pleines pages à l’accueil Saint-Michel (Paris XIe), le plus ancien centre dédié à l’exorcisme, sous les offices du père Jean-Pascal Duloisy. « Plusieurs milliers de personnes de toute l’Île-de-France viennent y chercher leur salut chaque année ». Après plusieurs semaines d'immersion, le quotidien raconte le cas d’Évane, cadre supérieur au visage angélique, « qui se met à insulter le prêtre en allemand ». Deux exorcismes seront nécessaires pour délivrer la quadragénaire. Ou encore Gervaise, petite femme fluette, qui « a soulevé la table et l’a pliée en deux ». Face à la demande croissante dans les années 2000, l'accueil Saint-Michel se dote de trois prêtres pour « aider l'humain abîmé » sans se substituer à la médecine.
De son côté, l’hebdomadaire Marianne exhume une enquête IFOP de 2020 pour la Fondation Jean Jaurès. On y observe une recrudescence de la superstition : « Alors que cela touchait à peine un Français sur six il y a quarante ans (18% en 1981), la croyance dans les envoûtements et la sorcellerie séduit maintenant près de trois Français sur dix : 28%, soit une hausse de 7 points depuis 2000, mais surtout de 10 points depuis 1981 », révélait l'enquête.
Autre point : ces croyances sont plus répandues chez les plus jeunes. « Aujourd’hui, 40% des moins de 35 ans croient en la sorcellerie contre 25% des plus de 35 ans », poursuivait l'IFOP. Le fin du fin, c’est que « les générations nées à partir des années 1980 sont beaucoup moins marquées par une défiance vis-à-vis des croyances religieuses et le matérialisme dominant jusque-là depuis l’après-guerre ».
Ces propos suscitent deux réactions : la première, c’est que l’homme croit toujours que le monde invisible peut agir dans le monde visible, et ce malgré tous les efforts entrepris pendant deux siècles pour le sortir de la religion. Le diable lui-même faisait le mort aux grandes heures du matérialisme. La seconde, c’est que la « croyance dans la sorcellerie » témoigne du recul de la raison et de la foi. « Le démon prend la place que le Seigneur, en se retirant, a laissé libre », écrit Albert Delaporte dans son célèbre Le Diable existe-t-il et que fait-il ?
En résumé, d’un côté, on crédite l’au-delà en lui reconnaissant un rôle dans nos vies ; de l’autre, on le discrédite en faisant faire n’importe quoi aux forces de mort.