Tournée historique de Xi Jinping en Amérique du Sud : la Chine dans le pré carré américain
On connait l'importante présence chinoise en Afrique et la politique d'investissement de Pékin dans les infrastructures européennes (ports, aéroports en particulier). La visite historique de Xi Jinping en Amérique du Sud marque une étape majeure dans le bouleversement géopolitique que connait le monde. Un voyage de 40 000 km du 12 au 23 novembre et les poches riches en lignes de crédit ! L'énorme marché chinois représente aussi une aubaine pour les produits (agroalimentaires et minéraux en particulier) d'Amérique latine. Les Chinois sortent de l'ombre après des années de travail dans la région pour construire des relations de confiance. L'alignement des planètes était parfait pour la diplomatie chinoise : son offensive dans le pré carré américain était justifiée par 2 sommets internationaux.
D'abord, le meeting annuel de l'APEC (l'association de coopération économique Asie-Pacifique) du 15 au 16 novembre à Lima, la capitale du Pérou. Xi Jinping a pu inaugurer avec les autorités péruviennes le mégaport de Chancay, propriété à 60 % du géant naval chinois Cosco qui y a investi 1,3 milliard de dollars depuis 5 ans. Et promet de remettre sur la table plusieurs autres milliards dans les années qui viennent… Car Cosco a obtenu du Congrès péruvien l'exclusivité de l'exploitation. Un port en eau profonde doté de 15 quais capables d'accueillir les plus gros cargos existants : plus de 1 million de conteneurs par an et un temps de traversée sensiblement diminuée. Cette route maritime fait partie intégrante de la « nouvelle route de la soie » — projet majeur pour Xi Jinping qui veut remettre son pays au cœur des échanges globaux. Et l'Amérique du Sud est une cible incontournable pour les Chinois : Chancay est une porte d'entrée prolongée par la nouvelle artère routière transamazonienne. Les Chinois ont compris que cette région du monde était devenue le « ventre mou » de l'empire américain. Ils ont tissé des liens de coopération, « d'égal à égal » avec les gouvernements locaux, loin de l'attitude dominatrice des « gringos » du Nord. Ces derniers, accaparés par l'Ukraine, le Moyen-Orient et Taïwan, ont négligé de voir le débarquement chinois sur leur flanc sud…
Xi Jinping s'est ensuite rendu au Brésil pour le sommet du G20. Son discours était clair : la Chine se présente comme un partenaire du « Sud global » et se positionne en opposition au virage protectionniste des États-Unis de Donald Trump. La Chine est le premier pays exportateur du monde, toujours à la recherche de marchés à ouvrir — d'autant plus que ses produits devraient subir une flambée des taxes pour atteindre les consommateurs américains dès le début de 2025. Le nouveau « timonier » de la Chine communiste promeut le libéralisme à l'échelle globale des échanges commerciaux. Il a d'ailleurs fait un coup d'éclat en rencontrant Javier Milei au dernier jour du G20 — un allié déclaré des Américains qui avait même vertement critiqué la Chine lors de la campagne présidentielle de 2023. « Je ne ferai pas d'affaires avec les Chinois ni avec aucun communiste d'ailleurs ! » s'écriait alors l'homme à la tronçonneuse… Le choc des mots, le poids des intérêts économiques — pour détourner un slogan connu : dans son effort de redresser les finances argentines en ruines à son arrivée, il est difficile de rejeter un partenariat avec la Chine qui est le premier marché étranger pour les agriculteurs et éleveurs argentins. Et impossible de résister au « deal » proposé par Pékin en juin 2023 d'autoriser le financement d'une part substantielle de la dette nationale argentine en yuans plutôt qu'en dollars. Derrière l'alignement apparent entre Donald Trump et Javier Milei (ils partagent un certain style oratoire et un ami commun en la personne d'Elon Musk), les efforts herculéens de redressement en Argentine forcent l'ultralibéral Milei à rester proche de la Chine. Il se rendra d'ailleurs en janvier 2025 au sommet de la CELAC (Communauté des États latino-américains et des Caraïbes) qui rassemble 60 pays (et plus de 1 milliard d'habitants) et que Pékin accueillera. « Les Chinois n'exigent rien de nous et ne se mêlent pas de nos affaires intérieures ! » : le libertarien Javier Milei a cordialement invité le communiste Xi Jinping à Buenos Aires.
L'Oncle Sam considère l'Amérique latine comme son pré carré depuis 200 ans, c'est-à-dire depuis qu'il suit la doctrine Monroe (1823) pour encadrer sa politique internationale. L'arrivée des marchands, des constructeurs et des diplomates chinois fait entrer la géopolitique de la région dans une nouvelle ère. Et le « Make America Great Again » rend cette doctrine décidément obsolète (voir l'article de The American Conservative en lien), puisqu'une alliance avec l'Argentine de Milei n'empêche pas ce dernier de tisser de liens avec le rival chinois. Une guerre froide continuera néanmoins de sévir avec les régimes néomarxistes de Cuba au Venezuela en passant par une méfiance vis-à-vis des Brésiliens socialistes. L'Argentine pourra donc jouer un rôle de « pivot » régional…