Une décennie de perdue dans la lutte contre la pauvreté
La mondialisation et les échanges commerciaux qu'elle a supposés ont pourtant provoqué un très net recul de l'extrême pauvreté, alors que celle-ci concernait encore 36 % de la population mondiale en 1990 et 16 % en 2010. Cette diminution était d'autant plus remarquable qu'elle allait de pair avec une croissance constante de la démographie globale.
Cependant, différents indicateurs montrent que la pandémie de Covid 19 nous a fait revenir 10 ans en arrière. Fin 2020, 719 millions de personnes vivaient avec moins de 1,90 $ par jour. Elles étaient 702 millions en 2015 et 648 millions en 2019. En 2024, 692 millions de personnes subsistent en dessous des 2,15 $ quotidiens, c'est à dire, la nouvelle barre de l'extrême pauvreté — établie en fonction du pouvoir d'achat actuel. La pandémie a fait basculer près de 70 millions de personnes dans l'extrême pauvreté en 2020, ce qui constitue la plus forte augmentation en un an depuis 1990.
Si l'on prend en compte les 3 seuils fixés par la Banque mondiale pour mesurer la pauvreté, la crise du Covid a généré près de 500 millions de pauvres supplémentaires, en une seule année. Consciente des limites du seuil à 1,90 $, qui ne permettait pas de saisir toute la population en difficulté pour satisfaire ses besoins élémentaires, la Banque mondiale avait proposé, en 2018, deux nouveaux seuils. Le premier, à 3,20 $ par jour, qui conduisait à compter alors 25 % de pauvres sur la planète, et le second à 5,50 $, qui impliquait près de 50 % de pauvres. Au seuil de 3,20 $, selon les estimations de janvier 2021, le nombre de pauvres supplémentaires aurait été, pour la seule année 2020, de 228 millions. Sous le seuil de 5,50 $, 177 millions de personnes auraient basculé dans la pauvreté.
Si les indicateurs montrent des progrès depuis l'après-Covid, ils restent très élevés. Les personnes vivant en dessous d'environ 6,85 $ — seuil haut fixé par la Banque mondiale qui a remplacé 5,50 $ pour s'aligner sur le pouvoir d'achat actuel — représentent aujourd'hui 44 % de la population globale, soit 3,5 milliards de personnes. Un indicateur différent — l'indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM) — avait été mis en place par l'ONU pour prendre en compte des facteurs divers, comme l'éducation, l'accès à la santé ou les ressources des ménages. Il était revenu, en 2020, à son niveau de 2011 et concernait 1,3 milliard de personnes. Il en touche 1,1 milliard aujourd'hui.
De plus, la stagnation à un niveau très élevé de la faim dans le monde ne laisse guère place à l'optimisme. 733,4 millions de personnes sont chroniquement sous-alimentées, soit 9,1 % de la population mondiale. Le recul raisonnable de la pauvreté monétaire ne se traduit pas automatiquement par un meilleur accès aux ressources alimentaires, bloqué par leur répartition insuffisante, les conflits ou la spéculation. La faim progresse en Afrique et stagne en Asie. Seuls les indicateurs de l'Amérique latine et des Caraïbes s'améliorent. Globalement, la faim dans le monde est à la hausse depuis 2015, année où elle avait atteint son niveau le plus bas.
Source : Le Monde
L'écart entre les pays riches et 75 pays parmi les plus pauvres du monde se creuse encore aujourd'hui, rapporte le quotidien espagnol El País. 92 % des personnes victimes de sous-alimentation y habitent et un tiers de ces pays sont aujourd'hui plus pauvres qu'ils ne l'étaient à la veille du Covid. Nombre d'entre eux sont en prise avec des instabilités structurelles, comme la corruption, ou croulent sous le poids de la dette. Plus de la moitié se trouvent en Afrique subsaharienne. Tous les pays d'Asie du Sud — sauf l'Inde — en font partie ainsi que des petits États insulaires d'Asie orientale et des Caraïbes (comme Haïti), auxquels il faut ajouter le Nicaragua, le Honduras, et la Guyane.
Selon l'économiste Pierre Bentata, mieux profiter de la globalisation serait une solution : « la plupart des pays pauvres peuvent avoir beaucoup de ressources naturelles. Ils ont tendance à ne pas profiter de la globalisation pour essayer de sortir de la pauvreté leurs propres populations. » D'après P. Bentata, la pauvreté souligne plutôt l'échec des États autoritaires et fermés : « Les pays qui se sont ouverts et qui ont vraiment accepté de jouer le jeu de la globalisation, l'Inde, par exemple, sont les pays qui ont réussi à faire sortir le plus rapidement possible la plus grande partie de leur population d'une situation de pauvreté. » On pourrait toutefois souligner l'impact incontrôlable et certain que de nombreux évènements géopolitiques externes ont sur les pays en développement. L'exemple le plus parlant en sont les difficultés provoquées par la guerre russo-ukrainienne sur l'approvisionnement en blé des pays africains.
Dans la situation actuelle, les populations en situation d'extrême pauvreté ont encore de longues années à attendre avant d'espérer en sortir. Mais quand on est pauvre, peut-on attendre ?