Bras de fer sur le rapatriement des migrants : Trump impose sa loi à la Colombie en moins de 24 heures
Le récent affrontement entre Donald Trump et le président colombien Gustavo Petro était-il le présage d'un conflit à venir entre la Maison-Blanche et les régimes de gauche en Amérique latine ? Déclenchée par la question de l'immigration illégale aux États-Unis, cette brève et sèche dispute entre Washington et Bogotá a provoqué un électrochoc dans la région.
Les événements se sont déroulés à une vitesse fulgurante suite au refus de Petro de permettre l'atterrissage de deux avions militaires américains transportant des Colombiens déportés des USA, choqué de les voir traités comme des criminels plutôt que comme des migrants. Trump a réagit en imposant immédiatement des tarifs douaniers de 25 % sur les produits colombiens (menaçant de les porter à 50 % dans un délai de 7 jours), ainsi qu'une interdiction d'entrée aux USA pour le gouvernement colombien et l'annulation de centaines de rendez-vous à Bogotá pour l'obtention de visas. Petro a rétorqué en publiant une tirade anti-colonialiste sur X et en promettant des mesures analogues à l'encontre des produits américains. La crise a néanmoins été vite désamorcée : dimanche soir, le ministre colombien des Affaires étrangères, Luis Gilberto Murillo, a annoncé que la Colombie se plierait aux exigences américaines. Trump a salué cette victoire en postant sur Truth Social une image de lui-même portant un chapeau de shérif, avec l'acronyme vulgaire « FAFO » (**** around, find out – **** et tu verras…), vite relayé sur X par Elon Musk.
Il faudrait souligner que tout prédisposait Petro et Trump à un duel de ce genre. Petro est le premier président colombien de gauche. Se décrivant comme un catholique progressiste, il a été recruté à l'adolescence par le mouvement de guérilla marxiste M-19. Incarcéré entre 1985 et 1987 pour possession d'armes à feu, sa carrière politique a débuté en tant que député du parti Alianza Democrática en 1991 : arrivé quatrième aux élections présidentielles de 2010, il est devenu maire de Bogotá en 2012. Élu président de la Colombie en 2022, sa vision politique est aux antipodes de celle de Trump, cherchant notamment à rendre la Colombie moins dépendante de l'extraction des combustibles fossiles et à protéger la forêt amazonienne. Il partage pourtant avec Trump un goût prononcé pour les propos tonitruants sur les réseaux sociaux. C'est peut-être la principale raison de l'escalade rapide du conflit du week-end dernier, les deux présidents s'étant livrés à un pugilat virtuel en contournant les voies normales de la diplomatie. Si un accord a été trouvé par la suite pour éviter une guerre commerciale, c'est grâce aux efforts en coulisses des diplomates de carrière.
Petro a été sérieusement critiqué par certains pour ses échanges houleux avec Trump. Interviewé par la chaîne américaine MSNBC, l'ex-président colombien Ivan Duque a jugé le comportement de Petro téméraire puisqu'il avait inutilement provoqué le principal partenaire commercial du pays. Il faut souligner que 124 avions civils transportant des déportés en provenance des USA étaient arrivés sans incident en 2024 ; la plainte de Petro ne portait pas sur les déportations en elles-mêmes, mais sur le fait que les avions en question étaient militaires et que les passagers étaient menottés. Même si la gêne de Petro à ce sujet était compréhensible, ses détracteurs ont jugé sa réaction disproportionnée et imprudente, surtout en ce qui concerne sa volonté de s'engager dans une guerre tarifaire contre les États-Unis, ce qui aurait gravement nui à l'économie de son propre pays.
Si certains estiment que Petro a surtout cherché à augmenter sa visibilité, la gauche latino-américaine ne partage pas cet avis (le président cubain Miguel Diaz-Canel a ouvertement salué sa résistance à Trump). Petro n'a d'ailleurs pas été le seul à protester contre Washington. Sans aller aussi loin, le ministère brésilien des Affaires étrangères a également demandé des explications sur le « manque de respect des droits fondamentaux » après que 88 immigrants brésiliens expulsés des USA sont arrivés le 25 janvier par avion, menottés eux aussi.
Une réunion d'urgence de la Communauté des États d'Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) pour discuter des expulsions a d'abord été convoquée par le président du Honduras pour le 30 janvier, puis annulée. Les raisons de cette annulation ne sont pas claires, mais le refus de la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum d'y participer a pu être un facteur majeur. Ayant déjà été menacé par Trump d'une augmentation des tarifs douaniers visant à punir l'immigration illégale en 2019, le Mexique préfère rester sur une ligne de crête plutôt qu'entrer dans une confrontation directe avec son grand voisin. Selon NBC News, le Mexique a aussi refusé l'utilisation d'un avion militaire la semaine dernière pour rapatrier ses citoyens refoulés des USA, mais avec une discrétion étrangère à Gustavo Petro. En assommant ce dernier, Trump a envoyé un signal fort : il dispose d'armes économiques et diplomatiques pour vaincre toute défiance ouverte. À long terme, il pourrait pousser la Colombie et d'autres régimes de gauche à se rapprocher encore des BRICS. À court terme, cependant, les adversaires de Trump n'ont guère d'autre choix que de chercher un modus operandi avec la Maison-Blanche.