
TikTok : l'application chinoise maintenue en vie par Donald Trump
Dans le contexte d'une guerre commerciale ouverte entre la Chine et les États-Unis, le réseau social TikTok échappe une nouvelle fois à la loi américaine. Par une curieuse ironie du sort, c'est une décision arbitraire du gouvernement, du même type pourtant que celle qui avait désigné la Chine comme l'adversaire principal de son pays, qui sauve l'application d'une extinction programmée sur le sol américain. Le réseau social, célèbre pour ses fils de vidéos très addictifs et qui est utilisé par 170 millions d'Américains, devait s'éteindre début janvier dernier selon une loi passée par le Congrès en 2024. Donald Trump, dès son arrivée au pouvoir à la fin de ce mois, a accordé un sursis de 75 jours. Pour rester sur les écrans des « smartphones », TikTok devait être cédé à un acquéreur américain. Le jour fatidique du 5 avril est arrivé, et un nouveau délai de 75 jours a été décrété par le locataire de la Maison-Blanche. Il convient donc de revenir sur le feuilleton « TikTok », car il est révélateur de la puissance des réseaux sociaux et du marchandage global engagé par les États-Unis…
L'administration Biden avait ciblé le réseau chinois, très populaire chez les adolescents, car il était soupçonné de fournir des données en masse au Parti communiste chinois. Une commission d'enquête n'avait pas réussi à obtenir des responsables américains de TikTok, des réponses claires sur le traitement des informations glanées par le biais des téléphones et tablettes. Sans prouver non plus que les données étaient en effet transmises aux autorités chinoises. Pour autant, le « Protecting Americans from Foreign Adversary Controlled Applications Act » avait imposé à ByteDance (maison mère de TikTok) de vendre ses activités américaines à un acteur local sous peine d'interdiction. Cette décision législative avait été confirmée par la Cour suprême. Et voilà qu'un décret du Président Trump sauve par deux fois – temporairement – l'application. On peut y voir d'abord l'extraordinaire puissance des réseaux sociaux : le risque de se mettre à dos, 170 millions de concitoyens, dans un contexte tendu politiquement où l'administration Trump est engagée sur de multiples fronts. L'opposition démocrate est d'ailleurs restée plutôt silencieuse, alors qu'elle aurait pu accuser Donald Trump d'une atteinte à l'État de droit. Elle ne veut pas devenir non plus la cible des utilisateurs, la plupart ayant moins de 30 ans, donc représentant une cible électorale stratégique.
La gouvernance par décrets, passant outre une loi votée par les représentants du peuple, pose question. Car la décision de Trump n'est pas conforme à la Constitution, puisque la loi passée ne permettait pas une telle extension. Les soutiens de la nouvelle administration donnent plusieurs arguments : d'abord que le fonctionnement démocratique doit être pragmatique. Pourquoi poser un problème si – avec quelques mois de retard – un accord est trouvé avec ByteDance (donc Pékin) ? D'autres rappellent que le gouvernement Biden avait ouvert cette brèche, par exemple, en imposant des mesures contraires aux libertés fondamentales dans le contexte du Covid. Joe Biden s'était aussi vanté sur le réseau X, d'avoir mis en place une aide financière aux étudiants américains malgré l'avis contraire de la Cour suprême… Il y a aussi un plan idéologique : Trump compte parmi ses soutiens de fervents défenseurs de la liberté d'expression : tout doit être fait pour éviter le bannissement définitif de TikTok.
Plusieurs acquéreurs potentiels se sont manifestés. Comme les géants Microsoft et Amazon… On parle même du youtubeur, Mr Beast (voir LSDJ 2366) ! Mais les pourparlers ont capoté à la dernière minute. Car la hausse massive des droits de douane entre les deux pays rivaux a été imposée entre temps, et la Chine a bien compris le levier puissant que représentait TikTok dans cette guerre commerciale. La maison mère, ByteDance, a fait savoir qu'elle n'avait pas reçu le feu vert nécessaire des autorités chinoises alors que des offres lucratives étaient sur la table. « Il suffirait que je baisse un peu les taxes douanières pour qu'ils acceptent le deal sur TikTok, c'est vous dire si ces taxes sont un levier efficace » a réagi Donald Trump. Mais les critiques pointent du doigt ce que révèle cette bataille : la nature transactionnelle de la stratégie de Washington. Or, si TikTok présente un danger sécuritaire suffisamment sérieux pour qu'une loi ordonne son rachat sous peine de bannissement, la priorité de l'administration américaine devrait être d'écarter la menace. Pas d'utiliser la puissante application comme un objet à troquer dans un marchandage au prix de quelques pourcentages de taxes douanières. En attendant, les 170 millions d'utilisateurs américains du réseau social peuvent continuer à échanger des milliards de données via des serveurs connectés à la Chine, au moins jusqu'au 19 juin prochain.