Société

L'Aide sociale à l'enfance, « un scandale d'État »

Par Philippe Oswald. Synthèse n°2456, Publiée le 21/04/2025 - Photo :

Manifestation du Comité de vigilance des enfants placés à l'occasion de la publication du rapport parlementaire sur la protection de l'enfance, à Paris, le 8 avril 2025.

Crédits : Julien De Rosa /AFP
Un rapport d'enquête parlementaire sur l'Aide sociale à l'enfance dresse un tableau catastrophique du sort des 396 900 jeunes confiés à la protection de l'enfance. Maltraitances, viols, suicides, manque d'humanité d'un personnel surchargé et mal formé, et sentiment d'abandon de ces enfants et adolescents qui n'ont guère les moyens, eux et leurs parents, de se faire entendre des pouvoirs publics.

Un rapport d'enquête parlementaire sur la protection des enfants confiés à l'Aide sociale à l'enfance (ASE) (rapport en lien ci-dessous), présenté le 8 avril par la députée socialiste Isabelle Santiago, dénonce « un scandale d'État », « un écosystème qui hier était à bout de souffle et aujourd'hui dans le gouffre ». Ce rapport sur « les manquements des politiques publiques de protection de l'enfance » avait été adopté à l'unanimité par la commission d'enquête, le 1er avril. Selon les enquêteurs, l'ASE remplit dramatiquement mal sa mission : « Le document de 400 pages (...) fait écho aux cris de SOS lancés par les professionnels de l'Aide sociale à l'enfance (…). Pouponnières surchargées, enfants livrés à eux-mêmes, manque de moyens pour les professionnels… Le constat des députés est sans appel. » résume Ouest-France (8 avril).

L'enquête de l'Assemblée nationale avait été lancée au printemps 2024, « quelques mois après le suicide de Lily, une adolescente de 15 ans placée dans un hôtel », rappelle BFMTV (8 avril). Lily était l'une des 396 900 jeunes confiés à la protection de l'enfance en France, sous la tutelle des départements depuis les années 80. Trop d'entre eux subissent un abandon, des violences, tels Malakaï, un petit garçon suivi par l'ASE, mort à 7 ans, en 2022 sous les coups de son beau-père, ou Marina, 12 ans, morte en 2009, martyrisée par sa mère et son compagnon. Ces violences souvent assorties de viols poussent certains enfants et adolescents au suicide, dénonce le journaliste Claude Ardid, auteur de « La fabrique du malheur » qui « retrace de nombreuses enfances martyres » (son interview dans le JDD,15/04/2025). Selon Claude Ardid, « environ 90% des centres de l'ASE sont des centres de recrutement de prostituées mineures de moins de 15 ans »... Certes, il y a des réussites. Mais, comme objectait déjà en 2020 la députée LREM Perrine Goulet, ancienne enfant placée qui se souvenait d'un « manque d'humanité », « quand on a 70% des enfants qui sortent de l'ASE sans diplôme, qu'une jeune fille en foyer a 13 fois plus de chances de tomber enceinte à 17 ans, je ne suis pas convaincue que ce soit un système qui fonctionne bien » (JDD, 17/01/2020).

Alors que les mesures de protection sont en hausse de 44% depuis 1998, la commission parlementaire constate que le nombre de professionnels présents sur le terrain est en « baisse constante » sur la dernière décennie. Pour « boucher les trous », l'ASE a de plus en plus recours à des intérimaires, relève Claude Ardid sur FR3 (11/04/2025). Or, ajoute-t-il, « il n'y a rien de plus terrible pour un adolescent que d'avoir un éducateur qui se barre au bout d'une semaine, parce qu'il n'y a pas de lien d'attachement. » Non seulement les enfants sont accueillis en « sureffectif », tandis que des mesures de placement ne sont pas exécutées faute de places suffisantes, mais les personnels sont « en perte de sens », déplorent les enquêteurs parlementaires. C'est le point le plus préoccupant. Il est douteux qu'il soit résolu par les solutions avancées par la commission pour « sortir de la cris» : elle préconise « une loi de programmation » pour mettre en place un « nouveau fonds de financement » (où va-t-on trouver l'argent vu la situation financière du pays ?) afin de répondre aux demandes de placement et en assurer le suivi. Face à des drames dont l'ampleur et la gravité ont été trop ignorées, la commission appelle à créer une... « commission de réparation pour les enfants placés qui ont été victimes de maltraitance dans les institutions » et à renforcer le nombre de contrôles dans les établissements et les assistants familiaux. Enfin, la commission recommande de mettre sur pied sans délai « un comité de pilotage » réunissant État, départements et associations, au risque de créer encore un de ces « comités Théodule » dont la France contemporaine a le secret... « Avant la commission d'enquête, des dizaines de rapports (Cour des comptes, Conseil économique, social et environnemental, Défenseure des droits...) et d'alertes (Unicef, syndicat magistrature, associations...) se sont succédé ces dernières années », rappelle France Info

Or, les relations entre le gouvernement et les départements sont des plus tendues, les seconds se plaignant de ne plus être en mesure d'accomplir leurs missions à cause des coupes budgétaires et de l'afflux de mineurs étrangers non accompagnés. Sans oublier, plus fondamentalement, l'abandon de la politique familiale qui avait largement contribué jadis à « l'exception française » d'un soutien aux familles, favorisant une natalité qui est à présent en chute libre. Isabelle Santiago a beau répéter à l'AFP que « les rapports ne peuvent plus se permettre de prendre la poussière, on est face à une urgence absolue », on reste sceptique devant les mesures qu'elle préconise. Quand bien même « 1,5 milliards d'euros » seraient miraculeusement débloqués pour créer 30 000 postes dans l'ASE, ce renfort ne pourrait améliorer qu'à la marge un système « à bout de souffle » qu'il faudrait réviser de fond en comble au lieu de le ravauder. 

La sélection
Rapport de la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance
Lire le rapport d'enquête sur le site de l'Assemblée nationale.
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