
Le Vietnam face à la menace de taxes douanières américaines très alourdies
Depuis une vingtaine d'années, le Vietnam se transforme grâce à une vigoureuse croissance économique. Le modèle repose largement sur les industries manufacturières qui produisent pour exporter (contribuant à plus d'un cinquième du PIB). Avant le « Liberation Day » annoncé par Donald Trump le 2 avril dernier, le régime de Hanoï visait un taux de croissance de 8% en 2025. Si les taxes américaines à l'importation ont été relevées de 10% globalement, Washington entend imposer des augmentations beaucoup plus lourdes aux pays avec lesquels la balance commerciale est fortement négative. Le Vietnam, le 8ème partenaire commercial des Américains, est sous la menace d'un coup de massue avec un taux à 46% sur ses exportations vers les États-Unis. Ce serait le troisième taux le plus lourd au monde, après le Cambodge voisin (49%) et la Chine avec 145%… Au conditionnel car, si les nouvelles conditions s'appliquent déjà à la Chine, l'administration de Donald Trump a reculé de 90 jours la mise en place concernant le Cambodge et le Vietnam.
Le bénéfice dégagé par les Vietnamiens dans leur commerce avec les États-Unis a été multiplié par 4 depuis 2015, atteignant 123,5 milliards de dollars en 2024. Le Vietnam a pleinement profité de la première offensive commerciale (déjà via les taxes douanières) engagée par Donald Trump contre la Chine en 2018. De nombreuses multinationales s'étaient tournées vers le Vietnam, particulièrement les provinces du Nord-Est bien desservies par le port de Haiphong et proches à la fois de la capitale et de la frontière chinoise. Résultat : les exportations vers les États-Unis en 2019 ont augmenté de 35% par rapport à l'année précédente. Et les deux pays ont conclu un nouvel accord bilatéral en 2023 qui visait à promouvoir les échanges politiques et économiques, avec par exemple, un investissement de 2 millions de dollars pour développer le secteur vietnamien en plein essor des puces électroniques. Cet événement était dans la logique d'un rapprochement spectaculaire depuis 20 ans entre deux anciens ennemis. Voilà donc une source d'inquiétude pour le régime de Hanoï, qui – à l'image du grand voisin et rival chinois – compte sur une forte dynamique économique pour garder les rênes du pouvoir. On pouvait même s'attendre à une réaction révoltée après un revirement aussi brutal…
La Chine a répondu en annonçant une augmentation de ses taxes douanières de 125% pour tous les produits américains. Le Vietnam adopte une attitude conciliatrice – flairant l'occasion de renforcer sa position géostratégique dans le contexte d'une guerre commerciale encore plus ouverte entre Américains et Chinois. On retrouve cette stratégie dans des pays ou des contrées comme au Mexique (voir LSDJ 2450). Tô Lâm, le Secrétaire général du Parti communiste vietnamien, a proposé d'abattre les taxes qui s'appliquent aux importations en provenance des États-Unis pour inciter Washington à faire de même. Hanoï va plus loin, en déclarant vouloir acquérir des aéronefs Boeing pour la compagnie aérienne nationale et d'acheter du gaz liquéfié américain. Et même – petite révolution dans un pays régi d'une main de fer – ouvrir le pays aux connexions internet Starlink d'Elon Musk. La stratégie vietnamienne est pragmatique. Les dirigeants vietnamiens sont convaincus que les taxes douanières sont pour Trump un levier de pression afin d'obtenir des accords à son avantage. Ils espèrent donc pouvoir conclure avec lui un deal qui leur convienne aussi. Au point d'irriter profondément la Chine voisine. Ils cherchent à montrer leur bonne volonté, en autorisant la construction d'un golf de luxe par la Trump Organization (société familiale du Président américain). Un investissement d'1,5 milliard de dollars à près d'une heure en voiture de la capitale. Quant au patron du Parti communiste vietnamien, il veut inviter Donald Trump dans son pays dès que possible…
Quel que soit le résultat de cette stratégie vietnamienne, une page se tourne, précise le Los Angeles Times (voir en lien). Le modèle de croissance effrénée des 20 dernières années s'essouffle. Le Vietnam n'a plus la capacité de fournir des masses de travailleurs aux multinationales occidentales – contrairement au géant chinois. Le repli protectionniste américain précipite une transition qui s'annonçait inévitable. Une nouvelle lutte s'ouvre entre plusieurs pays pour remplacer ce que les Américains n'iront plus chercher en Chine. Et le Vietnam ne sera plus une alternative aussi évidente. Certains secteurs y voient leur intérêt d'ailleurs car le problème de ressources humaines est devenu majeur. Les fournisseurs de pièces détachées pour l'automobile en particulier : l'imposition de frais de douane se limite pour ce secteur à 25% partout dans le monde. Donc les industriels concernés se rassurent en se disant qu'ils auront moins de concurrence pour recruter. Le secteur de l'électronique pourrait aussi échapper au tsunami des nouvelles taxes douanières américaines – les pourparlers sont en cours. Une nouvelle ère s'ouvre pour le Vietnam. Ployer comme le roseau face à Washington tout en cherchant à faire valoir sa position d'allié stratégique face à la Chine, et gérer une transition délicate qui ne peut plus reposer sur une croissance effrénée grâce à des exportations massives.