Le Vendée Globe, 40 ans d'aventures humaines
On les acclame tels des héros, lors de leur départ des Sables-d'Olonne comme à leur retour dans le long chenal du port vendéen. Du moins quand ils parviennent à le rejoindre : sur 200 participants en dix éditions tous les quatre ans, seuls 114 sont parvenus à boucler ce tour du monde à la voile sans escale ni assistance sur 28 000 milles (soit quasiment 52 000 kilomètres). Lors de la première édition, treize bateaux étaient au départ, sept franchirent la ligne d'arrivée. Déjà, cette année, quatre skippers ont dû abandonner, entre blessure à la cheville, hauban brisé, démâtage ou problème de grand-voile.
Pour cette dixième édition, ils étaient 40 (un nombre record) à tenter cette aventure qui pourrait bien leur faire passer 150 jours seuls en mer. Une aventure humaine récemment portée à l'écran par le film Seul, avec l'acteur Samuel Le Bihan dans le ciré du navigateur Yves Parlier lors de l'édition 2000. À elle seule, son histoire résume toute la folie de cette course : alors que son mât se brise en trois morceaux au large des îles Kerguelen, le navigateur refuse d'abandonner. Il mettra à profit ses compétences d'ingénieur pour créer un nouveau gréement de fortune depuis une crique déserte de Nouvelle-Zélande, et finir l'épreuve au bout de 126 jours de mer. Car le Vendée Globe n'est pas juste une compétition de voile, c'est avant tout une aventure humaine, et un défi face à soi-même, exploit si rare dans notre société contemporaine. « L'épopée du Vendée Globe, c'est un rêve d'aventure pour l'éternité », résume Philippe de Villiers, l'ancien président du conseil général de la Vendée, qui fit en sorte jadis avec le fondateur du Vendée Globe Philippe Jeantot que ces marins en solitaire portent le double cœur de la Vendée jusqu'au bout du monde. Une idée née dans un bistrot au Brésil, à Rio de Janeiro, en janvier 1983, inspirée tant par le stade Maracanã que par les mots du navigateur Alain Colas : « La mer, le plus grand stade du monde. »
Les premiers concurrents de l'édition 2024 arrivaient déjà début décembre dans la partie la plus dangereuse de la course, au moment de laisser sur bâbord la pointe de l'Afrique et le cap de Bonne-Espérance. Le passage du cap Horn marque le début de la remontée de l'Atlantique jusqu'aux Sables-d'Olonne, où le vainqueur est a priori attendu fin janvier. « Si on n'était pas en compétition, on ne passerait pas là où on passe », résumait avec son économie de mots habituelle le doyen de la course Jean Le Cam, surnommé « le Roi Jean ». Pourtant, nul mieux que lui ne connaît le sujet : il y a quinze ans, le 8 janvier 2009, Vincent Riou se déroutait pour lui sauver la vie, après qu'il eut passé deux jours dans la coque de son voilier retourné. Lors de la précédente édition, c'était à son tour de sauver Kevin Escoffier, dont le monocoque s'était brisé en deux. La solidarité des gens de mer n'est jamais un vain mot, plus encore sur une telle course en solitaire. L'édition 1996-1997, la troisième, a marqué les esprits, avec 6 skippers classés sur 16, la disparition de Gerry Roufs et le naufrage le 25 décembre, dans l'océan Indien au sud de l'Australie, de Raphaël Dinelli. Au bout de 20 heures seul sur la coque retournée, ce dernier avait été sauvé in extremis par le Britannique Pete Goss dans des creux de plus de 20 m. Et qui a oublié Bertrand de Broc qui se recousit la langue tout seul après avoir reçu un coup de bôme à la tête ? « On revient différent, en bien ou en moins bien. Il faut gérer l'atterrissage », expliquait ainsi Yann Eliès, qui s'était fracturé le bassin et le fémur durant l'épreuve, et avait mis 36 heures à être secouru.
Vainqueur il y a quatre ans, Yannick Bestaven (sur Maître CoQ V) est candidat à sa propre succession. Derrière lui, d'autres candidats à la barre de navires à foils dernière génération vont lutter pour la victoire : Jérémie Beyou (Charal), Charlie Dalin (Macif), Nicolas Lunven (Holcim-PRB) ou encore Thomas Ruyant (Vulnerable). Pour la première fois, un Chinois, Jingkun Xu, participe au Vendée Globe, avec un matériel adapté à sa main perdue dans un accident à l'âge de 12 ans. Né sans main gauche, Damien Seguin est aussi de l'aventure. Parmi les candidats, on trouve même un couple dans la vie : Clarisse Crémer (L'Occitane) et Tanguy Le Turquais (Lazare), chacun à la barre pendant que la sœur de Tanguy, Léna, garde leur fille Matilda. Mais il faut déjà parvenir à prendre le départ d'une telle course. Il aura fallu l'aide financière de sa famille et de nombreux franchisés McDonald pour que la jeune et talentueuse Violette Dorange puisse tenter l'aventure. Pour boucler le budget, il faut compter, selon le navire, l'équipe et les ambitions, de 1 à 7 millions d'euros. « Le Vendée Globe doit rester la course des PME, ce que j'appelle un "bien public" », rappelait récemment Philippe de Villiers. Il demeure pour les entreprises une occasion unique de raconter une histoire. Et même plus : aux côtés d'Initiative-cœurs, que barre Samantha Davies au profit de l'association Mécénat chirurgie cardiaque, naviguent un monocoque aux couleurs de l'association Lazare, ainsi que deux bateaux baptisés Vulnérable par leur partenaire principal, Advens, effaçant pour la première fois la marque au profit d'un message de sensibilisation à la vulnérabilité des hommes et de notre planète.