Un décret peut en cacher un autre
Écologie

Un décret peut en cacher un autre

Par Louis Daufresne. Synthèse n°679, Publiée le 17/06/2019
Côté jardin, tout va pour le mieux : la France, première destination touristique mondiale, se flatte à raison de posséder le patrimoine le plus riche et les paysages les plus variés. Aucun autre pays n’associe à ce point ces deux types de monuments, naturels et bâtis, et quand on y ajoute la gastronomie, on saisit toute la justesse du dicton germanique « heureux comme Dieu en France ». Côté cour, nos gouvernants ressemblent à ces Bretons souffrant de maladies thyroïdiennes : l’iode sature tellement l’atmosphère que leur organe, devenu paresseux, remplit mal sa fonction. Du Mont-Saint-Michel au Mont-Blanc, sans même citer les lagons d’outre-mer, la France compte 2700 sites classés. Ceux-ci ne couvrent que 2% du territoire. Seulement… Et pourtant, c’est ce concentré qui fait l’image de la France et, à part l’Italie, peu de voisins européens exercent une telle force d’attraction.

Mais voilà : qu’en faisons-nous ? La vérité oblige à dire que nos gouvernants ne sont pas toujours bien inspirés, comme l’atteste cette tribune parue dans le Journal du Dimanche. Plusieurs personnalités dont l'animateur de télévision Stéphane Bern, reconnu comme Monsieur Patrimoine, et la présidente du WWF France Isabelle Autissier, contestent un projet de décret prévoyant de transférer au préfet une compétence ministérielle. Laquelle ? Celle d'autoriser des travaux sur ces sites classés. Pour être précis, il y avait un précédent projet de décret « qui convenait à toutes les parties », notent les signataires. Fruit d'un travail de trois ans, ce dispositif consensuel permettait au préfet de département d'autoriser des projets de travaux modestes (extension de constructions existantes, travaux de restauration, plans de gestion forestière...) mais requérait obligatoirement l'intervention du ministre de la Transition écologique et de son bureau des sites pour des travaux plus conséquents, nécessitant notamment un permis de construire ou d'aménager.

Le second projet de décret, finalement choisi par le gouvernement, « reviendrait en réalité à assouplir la délivrance des autorisations de travaux et à déréguler », déplorent les signataires de la tribune. En deux mots, il y a un rapport risque/distance : plus un dossier est risqué, plus il faut le mettre à distance du local et donc, le faire remonter à Paris. Or, ce projet préconise de tout faire descendre au niveau du préfet. Ce qui fait dire aux signataires que « les 101 préfets de département ne disposent ni de la stabilité ni de l'expérience ou des moyens nécessaires pour conserver ces joyaux paysagers ». Certes, le préfet représente l’État central et non la périphérie. Mais lui conférer trop de pouvoir l'expose à la pression exercée par tous les intérêts gravitant autour de lui, qu’ils s’agissent de ceux des élus, en particulier sur l’emploi, ou des entreprises, notamment sur le foncier.

Parmi les signataires de cette tribune figurent des personnalités aussi diverses qu'Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), ou Alexandre Gady, professeur à la Sorbonne, président de Sites et Monuments. Cet historien de l’architecture, abonné des recours devant les tribunaux administratifs, est un pilier de la vigilance et de la mobilisation associative. Beaucoup de conflits ont ceci de paradoxaux qu’ils sont à rebours de « l’accélération écologique » souhaitée par l’exécutif. Les signataires soulignent qu’ « on ne compte plus les constructions démesurées, les retenues d’eau pour la neige artificielle, […] ou les parkings », ainsi que « les infrastructures routières » comme à Beynac, village médiéval menacé par une déviation. La justice vient d’annuler ce projet porté par le département de la Dordogne car il ne répondait pas à « une raison impérative d'intérêt public présentant un caractère majeur ». L’État a indiqué qu’il ne ferait pas appel. Les défenseurs de la nature se réjouissent. Mais dans d’autres cas, comme sur la Côte d’Azur (déjà bétonnée à 80 %), les promoteurs immobiliers exercent une pression sans relâche, et laisser seul le préfet décider peut apparaître comme une forme de mise en retrait de la puissance publique. Jusqu'à quel point sera-t-il suffisamment vertueux et au-dessus des parties prenantes pour sauvegarder un patrimoine que très peu de digues, si ce n'est celle de l'État, protègent de l'appât du gain ?
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