Romand noir chez les moines
Société

Romand noir chez les moines

Par Louis Daufresne. Synthèse n°690, Publiée le 29/06/2019
C’est l’une des affaires criminelles les plus inouïes – qui s’adjuge la deuxième place sur le podium des Faites entrer l’accusé les plus regardés : Jean-Claude Romand, le faux médecin de l’OMS condamné à perpétuité pour avoir tué son épouse, ses deux enfants et ses parents, est sorti de prison hier, après 26 ans de détention. Si les juges estiment que le risque de récidive est faible, sa libération conditionnelle est tout de même assortie d'une surveillance électronique.

À 65 ans, Romand portera son bracelet dans une… abbaye, et pas n’importe laquelle, celle de Fontgombault (Indre). La messe y est célébrée en latin et chantée en grégorien. Entourée de verdure et de jardins, cette imposante bâtisse, construite à la fin du XIe siècle non loin de Châteauroux, abrite 60 moines bénédictins de la Congrégation Saint Pierre de Solesmes, dont deux sont élus au conseil municipal. Les religieux sont habitués aux personnages hors norme : le cardinal allemand Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI, s'y arrêta en 2001 pour y parler de liturgie. Dans un autre genre, les moines avaient abrité Paul Touvier (1915-1996), condamné pour crimes contre l'humanité en 1994. L'ancien chef de la milice lyonnaise avait bénéficié de refuges procurés par une chaîne de protection au sein de l'Église catholique. Le village de Fontgombault passe pour un bastion traditionaliste. Il y a six ans, la commune fit l'objet d'une vive controverse quand ses 249 habitants se déchirèrent sur la question du mariage gay, après les propos jugés homophobes de son maire Jacques Tissier. Initialement, le faux médecin voulait se faire embaucher par Emmaüs mais le projet fut écarté par la justice l’an dernier.

Malgré lui, Romand est un personnage de… roman. Son parcours a inspiré cinéma et littérature. En 2002, Nicole Garcia adapta ainsi à l'écran L'adversaire d'Emmanuel Carrère. Ce qu’il a de fascinant ? Être parvenu à mentir à tout le monde pendant plus de quinze ans, à sa famille comme à son entourage ! Au départ, il échoua en faculté de médecine en raison d’une épreuve à laquelle il ne se présenta point. Jamais il ne s’expliqua sur cette dérobade et depuis ce jour, il revêtit une nouvelle peau. Marié à une jolie femme, père de deux enfants, Romand se disait chercheur à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à Genève. Chaque matin, il partait au travail, franchissait la frontière, et passait le reste de la journée à lire des revues scientifiques sur un parking ! Il avait accumulé tant de connaissances que des médecins de renommée internationale ne tarissaient pas d’éloges sur lui dans les dîners. Romand faisait vivre les siens en escroquant ses proches dont il était censé placer les économies en Suisse. Acculé par plusieurs débiteurs, dont certains avaient découvert son imposture, le faux médecin commit l’irréparable au matin du 9 janvier 1993. Il a 38 ans. À son domicile de Prévessin-Moëns, il tue sa femme avec un rouleau à pâtisserie, puis sa fille de sept ans et son fils de cinq ans, en leur tirant dans le dos avec une carabine. Il se rend ensuite à Clairvaux-les-Lacs (Jura) pour assassiner ses parents de plusieurs balles, là-aussi tirés dans le dos. Le lendemain, il revient chez lui et avale des barbituriques avant d'incendier sa maison. Les pompiers le retrouvent inconscient mais vivant.

De quoi Romand est-il le nom ? D’un abîme vertigineux que le mensonge creuse au cœur de l’âme, d’un jeu de rôle infernal propre à rendre fou celui qui y consent, d’un abcès qui suppure de plus en plus mais que le travail du temps finit par rendre incurable, de l’aveu d’une double vie toujours plus impossible quand le menteur suspend tout son être au crochet de boucher des apparences. Romand est une preuve encore vivante que l’homme est guidé par l’irrationnel, par des forces de mort invisibles capables de tout submerger. La devise de l’abbaye de Fontgombault ? « Fons Amoris » (Fontaine d'amour). Nul doute que Jean-Claude Romand aura besoin de s’y plonger, comme dans les eaux du Jourdain.
La sélection
Romand noir chez les moines
Jean-Claude Romand, condamné pour le meurtre de sa famille, sort de prison après 26 ans
Le Monde
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