
C'est qui le patron, la marque qui sauve des vies
Une marque qui sauve des vies et appartient à tous ? C'est le petit miracle créé grâce à Nicolas Chabanne. En 2016, alors que des producteurs de lait perdent de l'argent à vendre ce qu'ils produisent, il décide de changer les règles du jeu. Comment ? En court-circuitant le réseau des distributeurs, en créant une coopérative proposant des bouteilles de lait en grande surface à un prix qui rémunère vraiment l'éleveur laitier au plus juste. « La première année, on nous a prédit 5 millions de briques maximum ; on en a vendu 33 millions ! Tout le monde a décidé d'en faire un succès solidaire », explique le créateur de « C'est qui le patron ? ! ».
Comment est née l'idée de cette marque créée et portée par les consommateurs ? Nicolas Chabanne s'était déjà fait connaître dans les années 2010 par son idée de vendre des fruits et légumes abîmés à prix bradés, Les Gueules Cassées. « En 2016, dans l'Ain, 80 familles de producteurs nous disent : "chaque matin, on perd 120 euros en tournant le bouton de la machine à traire, du lundi au dimanche, sans congés, sans vacances". Quand tu es consommateur, tu te dis que ton argent sert à alimenter un système où les gens ne gagnent pas leur vie. » Prenant les choses à l'envers, Nicolas Chabanne demande aux producteurs combien il leur faudrait toucher pour s'en sortir. « En 2016, ils gagnaient 21 centimes du litre. Ils nous ont dit 35 centimes. Mais 15 jours après, on leur a demandé de prendre 39 centimes pour pouvoir prendre des vacances. On voulait que ces producteurs soient heureux et sortis d'affaire. » L'un d'entre eux, Régis Mainguy, éleveur laitier dans le Maine-et-Loire, eu a récemment témoigné sur l'antenne d'Europe 1. Lui qui a repris l'exploitation familiale et possède 120 vaches a rejoint l'aventure en 2017 : « J'ai été mis à la porte de chez Lactalis car je faisais entendre mon mécontentement sur la valorisation de notre lait. On vendait notre lait à Lactalis en moyenne 32 centimes le litre. Autant vous dire qu'on n'en vivait pas. Aujourd'hui on le vend 54 centimes en prix de base. Depuis cette rencontre avec Nicolas, on peut vivre heureux, payer nos factures, embaucher un salarié pour nous aider. On arrive même à prendre des congés, quinze jours l'été, une semaine l'hiver. Le plus grand bonheur c'est le sourire de nos femmes, de nos enfants. Nos familles ont retrouvé le bonheur de vivre au quotidien. »
« L'institut d'études Nielsen nous a appelés un jour pour nous dire que nous étions la marque créée ces dix dernières années la plus vendue en grande distribution. Ce qui est fou, c'est que nous ne nous sommes jamais positionnés comme une entreprise classique. Nous sommes une coopérative : il n'y a pas d'actionnaires à rémunérer, pas de dividendes versés. » Neuf ans après sa création, C'est qui le patron ?! compte 16 millions de clients, rassemble 15 000 consommateurs et propose 18 produits solidaires créés en soutien aux producteurs. Celle qui a vendu 71,5 millions de litres de lait en 2024, est devenue la marque de lait la plus vendue depuis dix ans, non pas parce que c'est la moins chère, mais parce qu'elle est solidaire. Coopérative oblige, l'argent reste dans le système, personne ne perçoit de dividendes en fin d'année. Sur une petite brique bleue vendue 1,27 € en grande surface, aujourd'hui, 54 centimes vont à l'éleveur, 61 centimes sont répartis entre la laiterie, le transporteur et le distributeur. Reste 0,05 centime pour la marque. Ce qui suffit pour salarier 30 collaborateurs, tout en aidant des agriculteurs à reprendre ou sauver l'exploitation familiale. Sur les dizaines de milliers de références proposées en grande surface, combien vous assurent que les producteurs vont bel et bien gagner leur vie ? Raison pour laquelle, C'est qui le patron ? !, demande aux grandes marques, à leur tour, de suivre son exemple et de payer les producteurs au juste prix. La marque des consommateurs étend quant à elle désormais son terrain de chasse, à la farine, aux œufs, aux pommes et aux cerises. À chacun de voter en ligne pour fixer le juste prix qu'il est prêt à payer.
« Il faut mesurer ce que la vie des producteurs vaut pour nous tous » explique Nicolas Chabanne, qui vient de mettre la marque à l'abri des appétits. « J'ai décidé de léguer toutes les actions de mes entreprises à une structure dont l'unique objet est le soutien aux producteurs », a-t-il expliqué. Concrètement Nicolas Chabanne cède gratuitement et sans contrepartie la totalité de ses actions à la fondation. « C'est qui le Patron ? ! passe en mode "Fondation actionnaire" pour mieux protéger les producteurs. C'est un modèle juridique rare qui rend inaliénables les valeurs de l'initiative et protège le sort des producteurs. Avec ce modèle, c'est aujourd'hui impossible ou presque, de détourner CQLP de sa vocation actuelle, sachant que l'objet de la fondation implique un contrôle de la préfecture » résume Raphaël Petit, directeur juridique de C'est qui le Patron ? ! « On m'a dit que la marque valait 30 à 40 millions d'euros », détaille son inventeur. « Mais après moi, qu'est-ce qui allait se passer ? Quand on cède gratuitement ses actions, on doit demander l'autorisation à ses enfants. Mes trois enfants, Clara, Léo et Matéo, ont dit un grand oui. Ils ne seront jamais riches, mais on est sans doute riche d'autre chose. Voilà comment, en France, on peut protéger les aventures pour les garder collectives. J'y gagne un bonheur infini. Nous touchons tous un salaire dans cette aventure, l'équipe est très heureuse au quotidien de travailler en sauvant des vies. Devenir, comme disait ma grand-mère, l'homme le plus riche du cimetière, je ne crois pas que ce soit d'un intérêt incroyable… »