Ce qu'il faut retenir de l'élection présidentielle mexicaine (2 juin 2024)
On peut parler d'un raz-de-marée… Le 2 juin dernier, l'ancienne maire de Mexico – Claudia Sheinbaum – a gagné les élections présidentielles avec près de 60 % des voix. Elle était certes la favorite mais les résultats ont dépassé les prédictions. Sa principale opposante, Xochitl Galvez, issue d'une coalition assemblant de façon hétéroclite le centre droit à des partis de gauche, n'a obtenu que 29 % des suffrages. Mme Sheinbaum commencera un mandat unique de six ans à partir du 1er octobre prochain. C'est donc un plébiscite pour le Président Manuel Lopez Oblador (AMLO) qui l'avait désignée comme son héritière. Le parti Morena (Mouvement pour le renouveau national) d'AMLO avait réussi à renverser le PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel) en 2018 après 50 ans de règne ininterrompu. Les réactions médiatiques en Europe ont parlé avec enthousiasme d'une grande victoire de la gauche au Mexique, avec une femme présidente pour la première fois, quand d'autres médias (en Amérique du Nord particulièrement) s'inquiètent d'une montée du populisme…
Il s'agit bien d'une révolution : les Mexicains ont renversé un système contrôlé pendant des décennies par une caste de bureaucrates et de grandes familles richissimes (voir l'article en lien de Compact). Car le parti Morena et ses alliés ont aussi remporté 7 des 9 sièges de gouverneurs (le Mexique est une fédération) et les 2 tiers du Sénat comme de la Chambre des députés. Un grand chelem qui s'explique par des résultats concrets : le chômage a baissé jusqu'à 2,5 % cette année alors que le prix de l'énergie n'a augmenté que de 0,1 % en 2023 — malgré une crise mondiale. Entre 2018 et 2022, la part des Mexicains vivant en dessous du seuil de pauvreté est tombée de 42 % à 36 %. Les classes populaires ont clairement bénéficié de la politique d'AMLO : le salaire minimum mensuel est passé de 2 650 à 7 468 pesos en 6 ans. Le gouvernement mexicain a proscrit les délocalisations : le salaire net moyen des ouvriers a bondi de 35 % entre 2019 et 2023… Tout ceci malgré une croissance modérée (2 % en moyenne). En plus d'une demande intérieure en forte hausse, le Mexique a aussi bénéficié de la situation géopolitique : 80 % de ses exportations sont destinées au riche marché américain dans un contexte où les grandes entreprises veulent baisser leur dépendance vis-à-vis de la Chine. Si la politique sociale a favorisé les plus modestes, AMLO a fait preuve de discipline quant au budget : le déficit budgétaire depuis 2018 avoisine les 3 % depuis 2018 et le ratio dette / PIB est resté stable autour de 55 %. L'administration fédérale a par ailleurs combattu l'évasion fiscale en augmentant de 60 % la recette des impôts perçus des plus fortunés.
Les défis restent immenses pour Claudia Sheinbaum dont la personnalité est très différente de son mentor. Elle est issue d'une famille de scientifiques de la capitale fédérale – avec des parents engagés à gauche et originaires d'Europe de l'Est. Elle véhicule donc l'image d'une technocrate brillante mais autoritaire. AMLO vient lui du Mexique rural et a toujours entretenu par son langage et son style « haut en couleur » une vraie proximité avec le petit peuple mexicain. Il connaît leur attachement au catholicisme auquel il a fait souvent référence dans ses interventions. Lui, l'homme de gauche, s'est d'ailleurs plutôt bien entendu avec Donald Trump. L'administration de Joe Biden est allée jusqu'à le menacer d'intervenir contre les cartels sur le sol mexicain : AMLO a répliqué que les gringos devraient d'abord s'interroger sur l'énorme consommation de drogues aux États-Unis en pointant du doigt la perte des« valeurs ». Sheinbaum sait qu'elle sera sous pression et elle a déjà assuré qu'elle comptait maintenir une forte coopération avec Washington.
La « révolution » mexicaine portée par le parti Morena a bénéficié du ralliement de gouverneurs et de députés venant du PRI. C'est un avantage : la nouvelle présidente peut compter sur des relais bien implantés localement. Mais les opportunistes peuvent toujours retourner leurs vestes à l'avenir… L'autre interrogation : comment Sheinbaum, la libertaire athée qui se veut à la pointe du « wokisme » militant, va-t-elle réussir à garder le soutien du petit peuple rural qui se sentait proche d'AMLO ? L'autre enjeu majeur est la sécurité. La stratégie d'AMLO a été l'apaisement avec les cartels – au grand dam de Washington. Les grandes métropoles sont devenues plus sûres (les homicides ont diminué de 50 % à Mexico sous Sheinbaum) mais au prix d'une militarisation galopante : 200 000 soldats sont déployés en permanence contre 50 000 il y a 6 ans. La violence extrême sévit dans des régions rurales (au Guerrero et Zacatecas par exemple) laissées aux criminels… La « Presidenta » est enfin attendue sur l'économie. La bourse de Mexico a reculé de 4 % en une semaine. Les Américains s'inquiètent des velléités de limiter le contrôle étranger sur des ressources stratégiques. Peu après l'annonce des résultats, Claudia Sheinbaum a rencontré le représentant au Mexique du géant financier américain Blackrock… Les yeux de l'oncle Sam la surveillent…