Culture
Patrimoine : patrie moine ?
Près de six mois après l’incendie de Notre-Dame de Paris, la 36e édition des Journées européennes du patrimoine, samedi et dimanche, a toutes les chances d'être un succès : autour du thème léger des « Arts et divertissements », 17.000 lieux publics et privés seront ouverts (1000 de plus que l’an dernier) et 26.000 animations auront lieu en France mais aussi dans 49 autres pays européens. Chez nous, l’événement s’est enrichi d’un loto du patrimoine plébiscité depuis deux ans, et d’une vulgarisation efficace de l'histoire par Stéphane Bern, sorte de ministre de la Culture par TV interposée. Cette année, le spectre des lieux visités s'élargit : jeux, cirque, fêtes, théâtre, cinéma, sports... Même la Ligue de Football Professionnel (LFP) s'engage aux côtés de la Fondation du patrimoine autour de la campagne « Plus jamais ça », allusion à l'incendie de la cathédrale. Ces journées du patrimoine seront sans doute suivies par quelque 12 millions de visiteurs, c’est l’étiage de ces cinq dernières années en France. Avec le temps, on oublierait presque que l'événement est à mettre au crédit d’un gouvernement socialiste. Lancées en 1984, ces journées du patrimoine sont une initiative de Jack Lang, « éternel » ministre de la Culture de François Mitterrand. Á l’époque, l’opposition raillait ce personnage si emblématique de l’hyperpuissance de la gauche et du nanisme de la droite.
Aujourd’hui, le patrimoine fait face à de grands défis et il va falloir que tout le monde s’y mette :
1er défi : l’argent. Dans le patrimoine, les moindres travaux d’entretien jonglent avec les millions. Les associations ne subviennent que très partiellement à la viabilité des sites, faute de fonds propres. Au demeurant, celles-ci sont divisées : l’une est un syndicat de propriétaires, l’autre défend les paysages, une troisième restaure les églises de campagne, une quatrième valorise les maisons paysannes, une autre encore organise des chantiers pour des jeunes, etc. Cet émiettement n’enlève rien à leur utilité ni à leur dynamisme. Elles font ce qu’elles peuvent, voilà tout. C’est simplement que vu les sommes en jeu, les choses se jouent à un autre niveau. La Fondation du patrimoine, au statut hybride public-privé, demeure le poids lourd et son président, Guillaume Poitrinal, ancien plus jeune patron du CAC 40, sait que l’argent se trouve dans les grandes entreprises. Et comme le budget de l’État dédié au patrimoine ne dépasse pas 330 M€ (travaux et investissements inclus), il faut aller chercher d’autres solutions. Le loto y contribue un petit peu mais encore de manière très insuffisante. Ce qui importe ici, c’est que ce jeu fait évoluer la France vers le modèle très rémunérateur du National Heritage anglais. Il pose une question, à terme : il faut démocratiser le patrimoine et y faire entrer le privé. Jusqu’où ? That is the question. Le privé aime le spectaculaire. Mettre de l’argent dans des poutres vermoulues que personne ne verra, ce n’est pas gagner…
2e défi : la sanctuarisation. La France est un pays paradoxal : la voilà qui exalte ses vieilles pierres, alors qu’elle saccage son urbanisme : les centres-villes meurent d’asphyxie, déportés par des zones commerciales défigurant les abords des plus belles cités, y compris celles de taille modeste. Comparée à l’Italie, à la Suisse ou à l’Allemagne, le saccage est flagrant et témoigne d’une relation ambiguë au patrimoine : on l’aime par le biais d’une sorte de nostalgie un peu sotte mais quand il est question, comme le dit Stéphane Bern, d’y voir un capital pourvoyeur de progrès, d’emploi, d’identité retrouvée et apaisée, il n’y a plus grand-monde. Comme si les élus locaux n’avaient d’autres ressources que de parsemer leurs territoires de grandes surfaces, de ronds-points et de ralentisseurs, rendant d’ailleurs le tourisme en voiture très pénible. Cette remarque est sévère, je le confesse. Elle ne s’applique pas à tous, je le précise : beaucoup de maires transpirent sang et eau pour entretenir une église dont le cloché et la toiture écrabouillent le budget communal. Cette réalité mise à part, on constate que c’est la résistance à l’éolien qui suscite une prise de conscience sur le patrimoine, hélas par la négative : certes, les dossiers sont presque systématiquement contestés devant les tribunaux, ce qui retarde les projets d’une dizaine d’années. Mais Emmanuel Macron a choisi son camp. Le chef de l’État veut doubler le nombre d’éoliennes en France. En faire le seul champ de bataille risque d’engloutir beaucoup d’énergies. D’autant que l’éolien n’est pas la seule menace : les terres agricoles transformées en lotissements pavillonnaires et la pression exercée par les promoteurs sur les préfets pour s’implanter dans des paysages remarquables constituent des périls réels, quoique plus sournois.
3e défi : le périmètre. Le patrimoine conjugue ces deux mots que le temps recouvre aujourd’hui d’une couche de poussière : la patrie et le moine. Qui se sent concerné par le patrimoine ? Tout le monde, vous répondront les acteurs publics ou privés, associatifs ou grandes entreprises. Mais cet élan fédérateur tient largement lieu de discours performatif. L’école publique est à la ramasse sur ce terrain, excepté d’excellentes idées associatives du type « jeu de pistes » organisé à Laon (premier secteur classé en France) pour des élèves de banlieue. Á la vérité, une hantise plane sur les amoureux du patrimoine, c’est que les nouveaux arrivants, s’y sentant étrangers, en fassent le violon d’Ingres d’une population locale devenue aussi vieille que les pierres qu’elle défend. Toutes les associations se battent pour ériger les monuments en cause nationale, en déployant un zèle pédagogique inouï. Quant aux pouvoirs publics, ils élargissent le périmètre du patrimoine, afin qu’il ne soit pas perçu comme le privilège d’aristocrates attachés à leur château et à leur petite église de campagne. Surtout ne pas enrôler le patrimoine sous la bannière de la réaction identitaire ; ce serait le plus mauvais service à lui rendre. Heureusement, France Inter est là pour nous ouvrir l'horizon et recentrer le sujet sur un nouveau public à séduire.
Aujourd’hui, le patrimoine fait face à de grands défis et il va falloir que tout le monde s’y mette :
1er défi : l’argent. Dans le patrimoine, les moindres travaux d’entretien jonglent avec les millions. Les associations ne subviennent que très partiellement à la viabilité des sites, faute de fonds propres. Au demeurant, celles-ci sont divisées : l’une est un syndicat de propriétaires, l’autre défend les paysages, une troisième restaure les églises de campagne, une quatrième valorise les maisons paysannes, une autre encore organise des chantiers pour des jeunes, etc. Cet émiettement n’enlève rien à leur utilité ni à leur dynamisme. Elles font ce qu’elles peuvent, voilà tout. C’est simplement que vu les sommes en jeu, les choses se jouent à un autre niveau. La Fondation du patrimoine, au statut hybride public-privé, demeure le poids lourd et son président, Guillaume Poitrinal, ancien plus jeune patron du CAC 40, sait que l’argent se trouve dans les grandes entreprises. Et comme le budget de l’État dédié au patrimoine ne dépasse pas 330 M€ (travaux et investissements inclus), il faut aller chercher d’autres solutions. Le loto y contribue un petit peu mais encore de manière très insuffisante. Ce qui importe ici, c’est que ce jeu fait évoluer la France vers le modèle très rémunérateur du National Heritage anglais. Il pose une question, à terme : il faut démocratiser le patrimoine et y faire entrer le privé. Jusqu’où ? That is the question. Le privé aime le spectaculaire. Mettre de l’argent dans des poutres vermoulues que personne ne verra, ce n’est pas gagner…
2e défi : la sanctuarisation. La France est un pays paradoxal : la voilà qui exalte ses vieilles pierres, alors qu’elle saccage son urbanisme : les centres-villes meurent d’asphyxie, déportés par des zones commerciales défigurant les abords des plus belles cités, y compris celles de taille modeste. Comparée à l’Italie, à la Suisse ou à l’Allemagne, le saccage est flagrant et témoigne d’une relation ambiguë au patrimoine : on l’aime par le biais d’une sorte de nostalgie un peu sotte mais quand il est question, comme le dit Stéphane Bern, d’y voir un capital pourvoyeur de progrès, d’emploi, d’identité retrouvée et apaisée, il n’y a plus grand-monde. Comme si les élus locaux n’avaient d’autres ressources que de parsemer leurs territoires de grandes surfaces, de ronds-points et de ralentisseurs, rendant d’ailleurs le tourisme en voiture très pénible. Cette remarque est sévère, je le confesse. Elle ne s’applique pas à tous, je le précise : beaucoup de maires transpirent sang et eau pour entretenir une église dont le cloché et la toiture écrabouillent le budget communal. Cette réalité mise à part, on constate que c’est la résistance à l’éolien qui suscite une prise de conscience sur le patrimoine, hélas par la négative : certes, les dossiers sont presque systématiquement contestés devant les tribunaux, ce qui retarde les projets d’une dizaine d’années. Mais Emmanuel Macron a choisi son camp. Le chef de l’État veut doubler le nombre d’éoliennes en France. En faire le seul champ de bataille risque d’engloutir beaucoup d’énergies. D’autant que l’éolien n’est pas la seule menace : les terres agricoles transformées en lotissements pavillonnaires et la pression exercée par les promoteurs sur les préfets pour s’implanter dans des paysages remarquables constituent des périls réels, quoique plus sournois.
3e défi : le périmètre. Le patrimoine conjugue ces deux mots que le temps recouvre aujourd’hui d’une couche de poussière : la patrie et le moine. Qui se sent concerné par le patrimoine ? Tout le monde, vous répondront les acteurs publics ou privés, associatifs ou grandes entreprises. Mais cet élan fédérateur tient largement lieu de discours performatif. L’école publique est à la ramasse sur ce terrain, excepté d’excellentes idées associatives du type « jeu de pistes » organisé à Laon (premier secteur classé en France) pour des élèves de banlieue. Á la vérité, une hantise plane sur les amoureux du patrimoine, c’est que les nouveaux arrivants, s’y sentant étrangers, en fassent le violon d’Ingres d’une population locale devenue aussi vieille que les pierres qu’elle défend. Toutes les associations se battent pour ériger les monuments en cause nationale, en déployant un zèle pédagogique inouï. Quant aux pouvoirs publics, ils élargissent le périmètre du patrimoine, afin qu’il ne soit pas perçu comme le privilège d’aristocrates attachés à leur château et à leur petite église de campagne. Surtout ne pas enrôler le patrimoine sous la bannière de la réaction identitaire ; ce serait le plus mauvais service à lui rendre. Heureusement, France Inter est là pour nous ouvrir l'horizon et recentrer le sujet sur un nouveau public à séduire.