Nervosité aux bords de la mer Baltique face aux dernières provocations de Moscou
À quoi joue le Kremlin actuellement dans la mer Baltique et quel est le lien avec la guerre en Ukraine ? Ce sont des questions qui préoccupent visiblement non seulement les trois États Baltes — ex-républiques soviétiques devenus indépendantes en 1991 — mais aussi la Pologne et les nouveaux membres de l'OTAN que sont la Suède et la Finlande. Plusieurs développements ces dernières semaines indiquent une grande nervosité dans la région. Les pays font face à ce qui n'est pas nécessairement la menace d'une guerre directe, mais plutôt une campagne « hybride » de provocation et d'intimidation de la part de Moscou pour tester la solidité de l'Alliance atlantique.
Les États Baltes ont été alarmés par une parution le 21 mai sur un site gouvernemental russe. Y est mentionné un projet de décret du ministère de la Défense, visant à modifier les frontières maritimes autour de l'enclave russe de Kaliningrad et la partie est du Golfe de Finlande. Selon le post, des zones maritimes actuellement lituaniennes et finlandaises deviendraient russes en janvier 2025, afin de les conformer « à la situation géographique moderne », une idée qui a provoqué de très vives réactions des pays concernés par cette déclaration unilatérale. Le ministre des Affaires étrangères lituanien, Gabrielis Landsbergis, a parlé d'une « escalade évidente contre l'OTAN et l'UE » et le président Gitanas Nauseda d'une « violation flagrante du droit international ». La Finlande voit pour sa part la publication comme une manière d'exercer une « influence hybride ».
Depuis, le document a subrepticement disparu d'internet... sans explication. Moscou l'a qualifié de purement technique mais la préoccupation des États Baltes s'est intensifiée après que les garde-côtes russes ont déplacé des bouées sur la rivière Narva (frontière entre la Russie et l'Estonie) dans la nuit du 22 au 23 mai. La première ministre estonienne Kaja Kallas (contre qui la Russie a lancé un avis de recherche pour avoir « insulté l'histoire ») a parlé d'un « incident frontalier ». Elle a dit que le Kremlin a tendance à multiplier de tels incidents « pour susciter la peur et l'anxiété, afin de semer l'insécurité dans nos sociétés ».
Une anxiété qui semble partagée en Suède, de l'autre côté de la Baltique, si l'on en croit un entretien du réseau journalistique allemand RND avec le commandant-en-chef des armées suédoises, Micael Bydén. La presse a immédiatement répandu les propos de Bydén selon lesquels Vladimir Poutine aurait les « deux yeux rivés » sur l'île suédoise de Gotland. Si elle revêt une importance stratégique — on note qu'elle a été occupée par la Russie en 1808 — Bydén a toutefois souligné l'absence de menace réelle d'invasion de l'île. Cela étant, Moscou aurait d'autres moyens pour poursuivre une guerre hybride dans la mer Baltique. Bydén a notamment parlé d'une « flotte fantôme » de vieux pétroliers rouillés transportant l'or noire russe sous d'autres pavillons. Selon lui, de tels pétroliers délabrés, qui ont récemment été observés dans les eaux internationales près de Gotland, pourraient être utilisés pour l'espionnage, le sabotage sous-marin, ou même pour provoquer une catastrophe environnementale qui passerait pour un accident. La Suède a déjà demandé que cette flotte fantôme, estimée à 1400 navires dans le monde entier, soit l'objet de sanctions européennes, étant donné que ses activités profitent aux caisses russes.
En parallèle, un article du Spiegel allemand, paru le 26 mai, a augmenté la fébrilité dans la région. Il estime que les États Baltes et la Pologne seraient prêts à envoyer leurs troupes en Ukraine en cas de « percée stratégique » des Russes dans l'est du pays et ce, sans attendre que les forces de Moscou n'arrivent à leurs frontières. Cette escalade pourrait mener à une confrontation directe entre la Russie et l'OTAN. Selon le Spiegel, cette information aurait été communiquée par les Estoniens aux parlementaires allemands en visite à Tallinn lors de la conférence Lennart Meri entre le 16 et 18 mai, le but étant d'encourager les Allemands à augmenter leur soutien à l'Ukraine. Le président estonien Alar Karis a confirmé à la presse que des discussions avaient bien eu lieu au sujet de l'envoi hypothétique des forces armées, mais que les soldats estoniens pourraient plutôt aider leurs homologues ukrainiens avec des tâches non-militaires comme le déminage. Questionné à ce sujet par les media, le ministère de la Défense polonais a affirmé que la Pologne n'enverra pas ses troupes en Ukraine, mais que cela pourrait changer selon l'évolution de la situation. Le chef de la diplomatie polonaise Radosław Sikorski est resté sur l'ambiguïté stratégique : « Nous ne devrions exclure aucune option. Que Poutine devine ce qu'on fera. »
Pour l'instant, la mesure la plus concrète annoncée par les pays frontaliers de la Russie, dont les États Baltes, la Pologne, la Finlande et la Norvège, est la construction d'une « muraille de drones ». Elle les défendrait contre les « provocations » du Kremlin dans un contexte où Moscou adopte toutes sortes de tactiques de déstabilisation. Si les Russes ne cherchent pas le conflit armé ouvert, les membres de l'OTAN semblent pourtant s'y préparer.