Christianisme

Mère Yvonne-Aimée de Malestroit, héroïne nationale oubliée par l'Église

Par Louis Daufresne. Synthèse n°2413, Publiée le 04/03/2025 - Photo : Malgré sa vie bouleversante, Mère Yvonne-Aimée de Malestroit n'a pas encore été béatifiée . Crédits : GrandCoq CC / Public Domain
Dans un essai sobrement intitulé Malestroit (Grasset), Jean de Saint-Cheron exhume la figure de mère Yvonne-Aimée de Jésus, née Yvonne Beauvais (1901-1951), héroïne de la résistance bretonne décorée par la France et les Alliés, mais que le Saint-Office prit pour une illuminée et réprouva brutalement.

Généralement, la République s'étrangle pour honorer les hommes de Dieu, y compris les femmes. Jeanne d'Arc fut une exception tardive que justifiait la perpétuation du roman national. Encore fallut-il en passer par la boucherie de la Der des Ders pour faire de la pucelle vosgienne une statue digne d'orner les palais laïques. À sa manière, Yvonne Beauvais fut une Jeanne de l'Ouest. Pas une Vendéenne munie d'une fourche, mais une combattante de l'ombre dont le couvent et la clinique de Malestroit, petite cité morbihannaise, servirent à la fois de QG et de sanctuaire. Des dizaines de maquisards et de paras lui doivent la vie, comme le général Louis-Alexandre Audibert, commandant de la région ouest de l'Armée secrète. Sut elle-même combien elle en sauva parmi les résistants du maquis de Saint-Marcel ? Son aide active à la Résistance ne l'empêcha point de soigner aussi des soldats allemands.

Dès la Libération, dans le chaos d'une France dévastée, Charles de Gaulle se déplaça en personne à Vannes pour lui remettre la Légion d'honneur ! Nos Alliés la couvrirent de médailles. Elle dit avoir fait seulement son devoir. Yvonne inspira la scène de La Grande Vadrouille où des paras anglais s'habillent en religieuses pour se cacher au monastère. Une scène culte, forcément.

Rusée et résolue, la sœur aurait pu appartenir au Service Action ou jouer dans le Bureau des Légendes. Sa vie ne fut pas si dorée que cela, bien qu'elle vécût adolescente dans la bonne société parisienne du quartier des Ternes. Si elle perd son père très tôt, ses grands-parents lui enseignent l'amour du prochain. Elle s'éprend des pauvres à la folie. Le jour, la jeune fille se déguise pour aller faire des ménages dans les appartements bourgeois ; le soir, sa silhouette se faufile dans les coupe-gorges de Billancourt pour subvenir aux besoins des familles miséreuses et les réconforter. Qui dit mieux ? Dans l'obscurité, cet ange leur apporte la lumière. Quand il faudra témoigner, les pauvres de la petite couronne n'oublieront pas leur reine.

Ses actes de charité, Yvonne les accomplit jusqu'au bout malgré une santé défaillante et les migraines atroces qui la terrassent. Mais elle ne s'écoute pas et les pauvres occupent la première place au banquet de son cœur. Comme le note le journaliste Christophe Mory, « il lui faut de l'argent, alors elle donne des concerts mondains, vend des images qu'elle peint, écrit des livres sous pseudonyme (…) ». Tant de générosité agace le malin : « Elle se bat contre le Diable qui lui lacère le dos. Impostures ? Hystéries ? Diableries ? » s'interroge Mory. En d'autres temps, estime Jean de Saint Cheron, on l'eût brûlée pour sorcellerie « pour avoir échappé à l'ordre des hommes ».

Yvonne a neuf ans en 1911 quand elle écrit une lettre avec son sang pour vouer sa vie au Christ. Aujourd'hui, un tel acte entrainerait un signalement à l'Aide sociale à l'enfance ou à la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires)… C'est Histoire d'une âme de Thérèse de Lisieux, lue par sa grand-mère, qui la convainc de vouloir devenir sainte. En 1922, alors qu'elle est en convalescence à Malestroit, le Christ lui apparaît dans sa chambre et lui montre sa Croix : « Veux-tu la porter ? » Les faits extraordinaires ne la quitteront plus jusqu'à sa mort en 1951. Yvonne rompt alors ses fiançailles avec Robert, jeune médecin, qui en resta inconsolable. L'Église retarde son entrée en religion, diligente des enquêtes et craint qu'elle manipule son entourage.

À 27 ans, Yvonne entre finalement au monastère des Augustines de Malestroit et devient sœur Yvonne Aimée de Jésus. Huit ans plus tard, elle est élue supérieure de la communauté ! La guerre arrive, mais bien avant son déclenchement, elle pressent que Hitler est un « démon ». En février 1943, la Gestapo finit par l'arrêter à Paris. La religieuse est promise au train de la mort et aux barbelés du Reich. Torturée par un Français à la prison du Cherche-Midi, elle se montre insensible aux coups, puis s'évade « miraculeusement », comme le rappelle le site 1000 raisons de croire, grâce aux prières intenses demandées au père Labutte par sœur Yvonne-Aimée qui lui apparaît en bilocation dans le métro  le témoignage de cette bilocation est visible dans un épisode que raconte Didier Le Corre dans Ouest-France. Le père Labutte y reviendra dans la biographie qu'il lui consacre (Yvonne-Aimée de Jésus, F.-X. de Guilbert, 1997).

Le 3 février 1951, une hémorragie cérébrale l'emporte. On l'inhume en 1957 ; un procès en béatification s'engage, mais la profusion d'expériences mystiques va nuire à son parcours de reconnaissance officielle. Le 1er juin 1960, le cardinal Alfredo Ottaviani ordonne de tout arrêter. La politique prend-elle sa part à cette décision ? Le clergé, plutôt vichyste, en veut-il encore à cette hussarde de la Libération ? Craindre qu'elle suscite une « vague d'illuminisme » est-il un alibi ? Pourquoi Dieu l'aurait-il autant comblée ? À cette question nul n'a la réponse. Dans les années 80, les travaux de l'abbé René Laurentin, référence intellectuelle du catholicisme français, ressusciteront sa mémoire. Sa biographie en plusieurs volumes porte « sur un dossier de 30 000 documents, unique dans les annales de la mystique », un travail réalisé « avec dispense du veto romain qui subsiste ». Dans son style très personnel, l'enquête de Jean de Saint-Cheron rend accessible au grand public la vie de cette mère courage. De quoi faire espérer l'évêque de Vannes qui attend depuis 2009 que le Vatican réponde à sa demande en rouvrant le dossier.

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