L’intervention française au Sahel à l’heure du doute
L’objectif initial était de lutter contre le terrorisme, qui a été dopé dans la région sahélienne par la chute de Kadhafi au printemps 2011. Mais jusqu’à présent, aucun des terroristes qui ont frappé la France ne venait du Sahel. Et les populations, peu enclines à soutenir des pouvoirs défaillants et corrompus, préfèrent ne pas choisir leur camp. Elles sont prises en étau entre des djihadistes sans pitié (l’attaque de deux villages de l’ouest du Niger près de la frontière avec le Mali et le Burkina Faso, samedi 2 janvier, est la plus meurtrière contre des civils au Sahel : 100 morts) et les alliés des Français (5000 soldats sahéliens auxquels s’ajoutent au Mali 13 000 hommes des forces onusiennes de la Minusma) dont le comportement n’est pas irréprochable. Ces populations sont d’ailleurs elles-mêmes immémorialement opposées entre Touaregs du nord et Noirs du sud (leurs anciens esclaves), ou encore entre ethnies, tels les Peuls et les Dogons, les uns pasteurs, les autres agriculteurs, dans la boucle du Niger. Qui plus est, le nouveau gouvernement malien (issu d’un coup d’État, l’été dernier) a entrepris de négocier avec les islamistes, renouant avec de vieilles pratiques auxquelles les poussent la solidarité musulmane et le jeu des alliances claniques. En revanche, on ne peut pas dire que les pays membres de l’Union européenne aient fait preuve d’une grande solidarité avec les 5100 soldats français engagés dans une zone grande comme l’Europe (la superficie du seul Mali est deux fois et demie supérieure à celle de la France).
Nos soldats ont certes remporté des succès importants en anéantissant des groupes de djihadistes et en éliminant leurs chefs. Mais en dépit de ces succès tactiques, l’islam radical (mais ne l’est-il pas dans son essence ?) gagne du terrain. Les groupes djihadistes renouvellent leurs forces en recrutant localement, et esquivent l’affrontement direct pour nous infliger, de raid en raid, ce qu’il faut bien appeler une défaite stratégique. Les « libérateurs » français sont de plus en plus perçus comme des occupants, « infidèles » de surcroît, par les indigènes. En revendiquant la seconde attaque, le groupe terroriste Rassemblement pour la victoire de l'Islam et des musulmans (RVIM), filiale d’al-Qaida au Sahel (concurrent de l’État islamique au Grand Sahara - EIGS), n’a d’ailleurs pas manqué de dénoncer « l’occupation » française au Sahel et les caricatures de Mahomet…
L’intervention française au Sahel s’enlise donc dans une guerre sans fin, comme celle qui ravage l’Afghanistan. Or, à l’impossible, nul n’est tenu : la ministre des Armées Florence Parly vient d’annoncer dans une interview au Parisien (3 janvier), que la France allait « très probablement » réduire les effectifs de sa force Barkhane. La décision sera vraisemblablement confirmée à l’occasion du sommet conjoint de la France et des pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina, Niger, Tchad) qui doit se tenir dans les prochaines semaines à N’djamena (capitale du Tchad). Il serait certes absurde et dangereux d’abandonner purement et simplement le Sahel aux islamistes, mais après huit ans sans résultat décisif, il est temps de remettre progressivement aux États africains le soin de gérer leur sécurité, estime Renaud Girard dans une chronique au Figaro (4 janvier). Un avis largement partagé par les connaisseurs du dossier, comme le montre l’enquête de France Info en lien ci-dessous.