Culture
Le « iel » nous tombe sur la tête
Une nouvelle comédie vient de sortir sur nos écrans : 1 garçon, 1 fille : trois possibilités : « iel ». Les trois lettres de la discorde, plantées comme des baïonnettes dans le ventre mou d’une langue française que nulle autorité ne se fatigue plus à enseigner. Le Figaro écrit : « C’est un mot de trois lettres, comme il en existe des milliers dans les dictionnaires. En octobre dernier, le pronom personnel « iel », contraction de « il » et « elle », a été intégré par le Robert dans son dictionnaire numérique. La définition de ce nouveau venu : "Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre". »
Coup de force, coup de maître, coup de pub. Tout le monde en parle.
Trompette en bouche, la grosse cavalerie inclusiviste enfonce une nouvelle ligne dans le camp retranché de notre héritage linguistique, littéraire et mental. On ne voit guère de sentinelle offrir de résistance à sa progression. Brigitte Macron et Jean-Michel Blanquer sont hostiles à ce néologisme non genré. L’une est latiniste, épouse du chef, l’autre est ministre d’État, parti en guerre contre le wokisme. On dirait que leur voix ne pèse rien. Charles Bimbenet, DG du Robert, décide seul : « La mission du Robert est d'observer l'évolution d'une langue française en mouvement, diverse, et d'en rendre compte. Définir les mots qui disent le monde, c'est aider à mieux le comprendre. » Merci pour la leçon. Il en rajoute : « N'en déplaise à certains, Le Robert n'a pas été subitement atteint de "wokisme" aigu, un mot "non transparent" (pas encore défini : ndlr) dont nous vous promettons bientôt la définition ».
Mais en l'absence de parti pris, comment justifier le choix de « iel » ? Bimbenet reconnaît que « si son usage est encore relativement faible (…), il est en forte croissance depuis quelques mois ». « On a constaté que "iel" prenait de l’ampleur, et nous l’avons intégré », renchérit Marie-Hélène Drivaud, lexicographe au Robert. Des affirmations invérifiables.
Depuis longtemps, les dictionnaires agacent les amoureux du bon français. Dans ses chroniques du Figaro, le linguiste Jacques Capelovici (1922-2011) critiquait déjà leurs choix. Un éditeur a le droit de publier ce qu'il veut. Mais un dictionnaire n'est pas un essai. Il fixe la norme. Le Robert valide ce qui se dit et, par conséquent, ce qui doit être dit. Quand il accepte un mot, il en propage l'idée. Un dictionnaire n'est pas qu'une chambre d'enregistrement. Sur ce terrain, l’Académie française et l’Éducation nationale sont court-circuitées par des acteurs privés, qu'il s'agisse des éditeurs de dictionnaires ou de manuels scolaires. Pour vendre, ceux-ci sont toujours tentés de féconder l'usage, d'être disruptifs, avant-gardistes. La course à l'argent encourage le progressisme.
En face le camp « conservateur » subit car il n'a rien de nouveau à proposer. Quoiqu’elle se dise républicaine, anticléricale et de gauche, Danielle Sallenave n’échappe pas à cette étiquette quand elle dit au Figaro que « iel instaure une coupure radicale avec la littérature et entérine aussi l’idée fausse que nous sommes maîtres de la langue. Or, dans la langue, l’usage est le seul juge. C’est lui qui la fait évoluer », assène-t-elle. L’écrivain se rassure à bon compte. Certes, la norme, c’est toujours l’usage, mais le pouvoir n’est pas étranger à son évolution. Le français fut un projet de la monarchie pour sortir des guerres de religion. La République utilisa notre langue pour lutter contre les prêches en patois du clergé. L’usage est le champ clos des rapports de forces, où s'imposent les idées. Dire que l'usage est le seul juge, c'est laisser le pouvoir à ceux qui l'influencent. La langue est un flux. Qui le canalisera ?
Il se peut que « iel » soit oublié aussi vite qu’il est apparu. Mais le contraire peut se produire. Le « hen » suédois et le « hän » finnois montrent que la pression en faveur du mot non genré s'exerce à un niveau global. La Finlande fait une campagne d'affichage pour « promouvoir le débat sur l’égalité et l’inclusivité ». Son style ressemble à celle du Conseil de l’Europe en faveur du hijab (LSDJ n°1426). On ne peut s'opposer à ces campagnes en se prévalant de l’usage ou de l'héritage. Ni l'un ni l'autre ne sont figés. Ils sont ce que nous en faisons ici et maintenant. L’usage ne conserve rien en soi. Où est la place d'un conservateur si ce n'est au musée ?
Une autre manière de lutter existe, plus fine, plus efficace : affirmer que « Iel » est un mot discriminatoire. Dans L’Obs, Fabrice Pfliskin mobilise le « général » Derrida pour prendre à revers le pronom soi-disant neutre. « Celui-ci, note-t-il, fixe une essence, une enseigne, presque un matricule. Sous prétexte de nous "inclure", il nous annexe. » « Iel » piétine ainsi le français avec « les gros sabots d’un Cheval de Troie de la métaphysique patriarcale », conclut le chevau-léger Pfliskin. Un texte vif, drôle et savoureux.
Après ça, « iel » will make you yell !
Coup de force, coup de maître, coup de pub. Tout le monde en parle.
Trompette en bouche, la grosse cavalerie inclusiviste enfonce une nouvelle ligne dans le camp retranché de notre héritage linguistique, littéraire et mental. On ne voit guère de sentinelle offrir de résistance à sa progression. Brigitte Macron et Jean-Michel Blanquer sont hostiles à ce néologisme non genré. L’une est latiniste, épouse du chef, l’autre est ministre d’État, parti en guerre contre le wokisme. On dirait que leur voix ne pèse rien. Charles Bimbenet, DG du Robert, décide seul : « La mission du Robert est d'observer l'évolution d'une langue française en mouvement, diverse, et d'en rendre compte. Définir les mots qui disent le monde, c'est aider à mieux le comprendre. » Merci pour la leçon. Il en rajoute : « N'en déplaise à certains, Le Robert n'a pas été subitement atteint de "wokisme" aigu, un mot "non transparent" (pas encore défini : ndlr) dont nous vous promettons bientôt la définition ».
Mais en l'absence de parti pris, comment justifier le choix de « iel » ? Bimbenet reconnaît que « si son usage est encore relativement faible (…), il est en forte croissance depuis quelques mois ». « On a constaté que "iel" prenait de l’ampleur, et nous l’avons intégré », renchérit Marie-Hélène Drivaud, lexicographe au Robert. Des affirmations invérifiables.
Depuis longtemps, les dictionnaires agacent les amoureux du bon français. Dans ses chroniques du Figaro, le linguiste Jacques Capelovici (1922-2011) critiquait déjà leurs choix. Un éditeur a le droit de publier ce qu'il veut. Mais un dictionnaire n'est pas un essai. Il fixe la norme. Le Robert valide ce qui se dit et, par conséquent, ce qui doit être dit. Quand il accepte un mot, il en propage l'idée. Un dictionnaire n'est pas qu'une chambre d'enregistrement. Sur ce terrain, l’Académie française et l’Éducation nationale sont court-circuitées par des acteurs privés, qu'il s'agisse des éditeurs de dictionnaires ou de manuels scolaires. Pour vendre, ceux-ci sont toujours tentés de féconder l'usage, d'être disruptifs, avant-gardistes. La course à l'argent encourage le progressisme.
En face le camp « conservateur » subit car il n'a rien de nouveau à proposer. Quoiqu’elle se dise républicaine, anticléricale et de gauche, Danielle Sallenave n’échappe pas à cette étiquette quand elle dit au Figaro que « iel instaure une coupure radicale avec la littérature et entérine aussi l’idée fausse que nous sommes maîtres de la langue. Or, dans la langue, l’usage est le seul juge. C’est lui qui la fait évoluer », assène-t-elle. L’écrivain se rassure à bon compte. Certes, la norme, c’est toujours l’usage, mais le pouvoir n’est pas étranger à son évolution. Le français fut un projet de la monarchie pour sortir des guerres de religion. La République utilisa notre langue pour lutter contre les prêches en patois du clergé. L’usage est le champ clos des rapports de forces, où s'imposent les idées. Dire que l'usage est le seul juge, c'est laisser le pouvoir à ceux qui l'influencent. La langue est un flux. Qui le canalisera ?
Il se peut que « iel » soit oublié aussi vite qu’il est apparu. Mais le contraire peut se produire. Le « hen » suédois et le « hän » finnois montrent que la pression en faveur du mot non genré s'exerce à un niveau global. La Finlande fait une campagne d'affichage pour « promouvoir le débat sur l’égalité et l’inclusivité ». Son style ressemble à celle du Conseil de l’Europe en faveur du hijab (LSDJ n°1426). On ne peut s'opposer à ces campagnes en se prévalant de l’usage ou de l'héritage. Ni l'un ni l'autre ne sont figés. Ils sont ce que nous en faisons ici et maintenant. L’usage ne conserve rien en soi. Où est la place d'un conservateur si ce n'est au musée ?
Une autre manière de lutter existe, plus fine, plus efficace : affirmer que « Iel » est un mot discriminatoire. Dans L’Obs, Fabrice Pfliskin mobilise le « général » Derrida pour prendre à revers le pronom soi-disant neutre. « Celui-ci, note-t-il, fixe une essence, une enseigne, presque un matricule. Sous prétexte de nous "inclure", il nous annexe. » « Iel » piétine ainsi le français avec « les gros sabots d’un Cheval de Troie de la métaphysique patriarcale », conclut le chevau-léger Pfliskin. Un texte vif, drôle et savoureux.
Après ça, « iel » will make you yell !