Les oracles annoncent la fin de la « pax americana », la Chine devenant la première puissance mondiale. Mais il y a une autre révolution, technologique, qui pourrait dépasser au XXIème la rivalité des grandes puissances. Mark Zuckerberg la veut et la prépare : de Facebook à Meta, sa firme toute puissante entend ouvrir un nouveau monde qui dépassera les frontières grâce au monde virtuel du « métavers ». La Chine s’en inquiète. Comment peut-elle prétendre à ses ambitions sans maîtriser ce sujet ? Quelles conséquences politiques et sociétales pour son régime totalitaire ? La course au « métavers » ouvre-t-elle une nouvelle « guerre des étoiles » , fatale à l’URSS ? Le CICR (China Institutes of Contemporary International Relations), appareil de recherche en relations internationales de Pékin, s’est saisi de la question et a adressé un rapport à Xi Jinping, nous apprend N.S Lyons (voir son article pour UnHerd en lien).

Les Chinois ne partent pas de rien. Fin décembre, le géant de l’internet Baidu a lancé sa propre version d’un monde social virtuel (« métavers ») en grandes pompes. Son PDG, Robin Li, a prononcé un discours promettant l’ouverture d’une nouvelle ère, celle de la symbiose entre l’homme et l’ordinateur. Son « XiRang » (« Terre d’espoir ») a connu un début difficile, selon le média étatique CGTN qui a évoqué une expérience d’utilisateur très mauvaise… Pour autant, les investisseurs chinois sont obsédés, comme ceux de l’Ouest, par le développement de la réalité virtuelle, même si elle n'en est qu’à ses balbutiements. Le « XiRang » de Baidu va devoir passer les fourches caudines d’un PCC circonspect, un défi sans doute plus difficile à relever que la recherche et le développement d’un monde virtuel attractif.

Le rapport du CICR décrit d’abord les avantages d’une expansion de la réalité virtuelle pour le régime. L’obsession d’un régime totalitaire est de maintenir son emprise malgré l’inévitable confrontation au réel. Or, l’expansion du « métavers » permet d’envisager un futur où la distinction entre la réalité et le virtuel s’estompera. Ou plutôt : le « métavers » deviendra un nouveau monde parallèle. Le CICR prévoit que la structure même de la société s’en trouvera affectée. Cette révolution sociale sera plus rapide et à moindre coût que la digitalisation progressive du monde réel telle qu’on la connaît aujourd’hui. Le « métavers » devrait aussi devenir un monde où les questions de politique et de sûreté de l’État auront toute leur place. Pour un pays qui sait utiliser les nouvelles technologies pour imposer un système de crédit social, voilà une perspective intéressante… De plus, le monde virtuel pourrait offrir aux citoyens chinois une vie rêvée, avec de nouvelles identités et relations sociales. Cette « Terre d’espoir », pour reprendre la marque de Baidu, permettrait au Président Xi Jinping de remplir plus vite les promesses de son programme « Prospérité partagée » dont l’objet est d’atténuer le fossé gigantesque entre la minorité richissime et les masses laborieuses. Un régime totalitaire voit dans la réalité virtuelle une alliée puisque sa confrontation au réel le conduit in fine à l’échec. Le CICR recommande que la Chine accélère sa recherche de crainte de laisser les États-Unis acquérir une position hégémonique. On notera d’ailleurs que « le virtuel et la réalité augmentée » sont une des 7 industries prioritaires inscrites dans le plan stratégique chinois jusqu’en 2025.

Mais le CICR appelle aussi à la prudence, connaissant certainement les réserves de leur chef, Xi Jinping. Les transformations sociales profondes que causerait l’expansion d’un monde virtuel immersif sont difficiles à prédire, donc risquées. Les chercheurs chinois pointent l’explosion de la cyber criminalité, et l’apparition d’une drogue digitale aux effets massifs sur les jeunes générations. Toute une partie de la population pourrait faire « sécession » dans le monde parallèle et former une masse dissidente incontrôlable.

Xi Jinping a fait connaître sa position par des mesures imposées en 2021. La Chine fait face à un défi existentiel : sa natalité est en chute libre. Xi Jinping ne veut surtout pas voir les jeunes chinois en âge de procréer et de travailler passer leur temps à des distractions virtuelles… Ses discours fustigent régulièrement « l’économie fictive » de l’internet… En septembre dernier, dans le cadre d’un vaste mouvement répressif visant à reprendre les rênes de l’économie, Pékin a imposé des règles strictes aux fournisseurs de jeux vidéo. Les médias ont dénoncé « l’opium électronique qui pourrit la jeunesse ». Le temps de jeux est limité à quelques heures par semaine…

La Chine ne veut pas se laisser distancer technologiquement. Mais elle semble préférer laisser l’Occident se perdre dans les arcanes du « métavers » pour avancer ses pions dans le monde bien réel de la diplomatie et de l’industrie.