Israël s'enracine en Palestine
« Dans le désert je ferai croître le cèdre, l'acacia, le myrte et l'olivier, dans la campagne stérile je planterai, avec le cyprès, l'orme et le buis » (Is 41, 18-19). Mise en œuvre par le Fonds national Juif (FNJ), qui se targue d'avoir fait jaillir 250 millions d'arbres en Israël, la promesse de Dieu au prophète Isaïe semble s'accomplir aujourd'hui. Principale structure d'aménagement du territoire, le FNJ est peut-être aussi « l'organisation sioniste la plus importante de tous les temps » selon Irus Braverman, professeur à l'université de Buffalo (New York). Derrière les politiques environnementales affichées se cachent d'autres objectifs : recouvrir les villages arabes abandonnés après la Nakba (les expulsions de 1948). Yossef Weitz, ancien directeur du FNJ, établissait clairement dans son journal les liens entre l'aménagement territorial et la colonisation. « Nous avons commencé l'opération de nettoyage, enlevant les débris et préparant les villages pour la culture et la colonisation. Certains d'entre eux deviendront des parcs », écrivait-il en 1948.
Plus récemment, il s'agit de forcer les Bédouins du Néguev à déguerpir en créant une barrière naturelle : les forêts servent à délimiter les frontières d'Israël, jusqu'en territoire colonisé. « À chaque fois qu'une famille bédouine est expulsée de ses terres, ils viennent planter des arbres dès le lendemain », expliquait en 2022 Attia Al-Asam, président du Conseil régional des villages non reconnus du Néguev (RCUV). La forêt de Yatir, aujourd'hui la plus grande d'Israël, est devenue la rampe de lancement pour coloniser le nord du désert. « Des navettes emmènent les gens sur des parcelles déjà préparées. Après avoir mis en terre un plant, ils repartent avec un drapeau disant : “J'ai planté un arbre en Israël” », rapporte le Monde diplomatique.
Source : Cécile Marin pour Le Monde diplomatique / OpenStreetMap Israel ; www.adalah.org/en ; www.zochrot.org
La colonisation du paysage s'inscrit dans une politique plus vaste, articulée autour du plan Allon. Dévoilée après la guerre des Six Jours en 1967, cette doctrine vise à renforcer la souveraineté israélienne sur les territoires occupés, justifiant ainsi l'implantation et l'expansion de colonies de peuplement au nom de la défense nationale. Ces colonies s'installent tout autour de la Cisjordanie, et de plus en plus à l'intérieur de ce territoire. Un tiers des colons appartiennent à la branche la plus religieuse du judaïsme. Pour eux, l'installation en Palestine n'est rien d'autre que l'accomplissement d'un plan divin, le peuple élu occupant la Terre promise : « Si on prend la Bible, on peut s'en servir comme GPS. Toutes ces collines qu'on voit, ce sont des endroits qui sont cités dans la Bible », déclarait à France Info un membre du Likoud. Mais au-delà de la religion, les subventions gouvernementales accordées aux familles de colons, plutôt pauvres et comptant beaucoup d'enfants, sont très convaincantes.
Au regard de l'ONU, ces colonies israéliennes constituent une violation du droit international. Elles contreviennent également aux accords d'Oslo signés par Israël en 1995. Si ces accords ne reconnaissaient en aucun cas la création d'un État palestinien, ils établissaient une période d'intérim censée mener à l'installation progressive d'une Autorité palestinienne en Cisjordanie. Celle-ci était divisée en trois zones : A, B et C, l'armée israélienne étant censée garder le contrôle de la zone C jusqu'en 2000, avant que la gestion du territoire soit laissée aux Palestiniens. Mais alors que des milliers de colons israéliens peuplaient déjà la région, l'intérim n'a jamais pris fin. Depuis l'assassinat d'Ythsiak Rabin, en 1996, les tensions se sont accentuées, jusqu'au déclenchement de la deuxième Intifada en 2000. Aujourd'hui, Israël contrôle 60 % de la Cisjordanie.
L'actuel gouvernement de Benjamin Netanyahou a pleinement assumé son intention de doubler le nombre de colons pour le porter à un million. Soutenu par des courants sionistes prônant l'annexion pure et simple de la Cisjordanie, le Premier ministre réélu affirmait le 30 mai dernier : « Les Palestiniens, une fois déradicalisés, doivent avoir une autonomie […], pas le pouvoir de menacer Israël. » Il explique donc avoir bloqué depuis des décennies « l'établissement d'un État palestinien qui mettrait en péril notre existence. » Demandant à Emmanuel Macron de considérer la possibilité d'une situation analogue avec la banlieue parisienne, il affirmait récemment : « Imaginez qu'il y ait des milliers de terroristes qui veuillent détruire Paris, tuer des citoyens français, conquérir la France, vous ne suggéreriez pas cela. »
Il faut dire que le pogrom du 7 octobre 2023 perpétré par le Hamas et le déclenchement de la guerre, toujours en cours, ont exacerbé les tensions. Israël craint plus que jamais la montée de l'islamisme en Cisjordanie. Certes, la région est gouvernée par le Fatah, mouvement rival du Hamas, mais ce dernier bénéficie du soutien d'une large frange de la société palestinienne. Entouré de pays arabes contre lesquels il a régulièrement été en guerre depuis 1948, l'État hébreu souhaite neutraliser les menaces les plus proches. Plus il y a de colonies juives sous protection militaire en territoire palestinien, mieux Israël pense empêcher la formation effective d'un État hostile et cohérent sur le plan géographique.