International
Grande Bretagne : les 45 jours chaotiques de Liz Truss
Visiblement, la Grande Bretagne est en train de vivre un automne pas comme les autres. Après le décès d’Elizabeth II le 8 septembre, le Royaume-Uni a connu de fortes turbulences économiques et politiques, menant à la démission de Liz Truss jeudi dernier après seulement 45 jours (battant de loin le record de brièveté pour un premier ministre britannique). Avec un taux d’inflation inconnu depuis 40 ans, menacé par le spectre de coupures d’électricité cet hiver, objet de rhétorique belliqueuse de la part de Moscou, le pays se trouve désormais en pleine crise. Face à ce que certains ont décrit comme une « italianisation » de la vie politique, où l’instabilité chronique semble s’installer, l’opposition travailliste ainsi que les Premiers Ministres en Écosse et au Pays de Galles ont appelé à des élections législatives anticipées. Scénario néanmoins peu probable dans l’immédiat, car synonyme de suicide électoral pour le parti conservateur au pouvoir, qui a décidé de choisir un nouveau leader la semaine prochaine.
Comment Liz Truss a-t-elle pu faire naufrage en si peu de temps ? Il est clair que le moment fatal était l’annonce le 23 septembre, par l’ex-ministre des Finances Kwasi Kwarteng, de mesures budgétaires contraires à l’orthodoxie économique, au nom de la « croissance ». Mesures qui ont provoqué à la fois une chute historique de la livre sterling (qui a atteint un plancher historique par rapport au dollar (1,035 $ = 1 £) et l’implosion soudaine du marché obligataire, face à laquelle la Banque d’Angleterre a dû intervenir massivement le 28 septembre. Ce chaos sur les marchés, qui a manifestement surpris Truss et Kwarteng, a été expliqué par les analystes en évoquant des facteurs politiques assez faciles à comprendre, mais aussi des questions techniques plus complexes qui méritent néanmoins d’être étudiées en raison de leurs implications potentielles pour l’avenir.
Tout d’abord, le caractère expérimental du mini-budget a déclenché une crise de confiance dans les compétences financières du gouvernement de Liz Truss. Face à un taux d’inflation proche de 10%, la Banque d’Angleterre (ayant comme objectif de le ramener à 2%) augmentait déjà les taux d’intérêt afin de ralentir la circulation de l’argent. Truss et Kwarteng sont allés dans le sens inverse en annonçant des réductions d’impôts et des subventions énergétiques, tout en augmentant la dette publique de 72 milliards de livres en cette année fiscale. Décision perçue comme inflationniste, et qui a provoqué un avertissement inhabituel du FMI : « Compte tenu des pressions inflationnistes élevées dans de nombreux pays, y compris le Royaume-Uni, nous ne recommandons pas de packages budgétaires (dépenses) importants et non ciblés à ce stade, car il est important que la politique budgétaire ne fonctionne pas à contre-courant de la politique monétaire. »
La réaction des marchés aux annonces de Kwarteng a été quasi-instantanée, notamment à cause du rôle de l’intelligence artificielle (dont l’OCDE avait souligné les risques potentiels pour l’économie en 2021) dans l’automatisation des opérations financières. La chute de la livre sterling a été accompagnée d’une véritable tempête sur le marché obligataire. Les rendements (« yields », considérés comme un indicateur de risque) ont augmenté soudainement, synonyme d’une perte brutale de valeur des obligations. Cela a déclenché une crise pour les fonds de pension britanniques, qui ont commencé à vendre en panique leurs obligations afin de répondre aux « appels de marge » – des demandes urgentes de fonds supplémentaires de la part des courtiers – pour couvrir leurs positions. Ce scénario se produit lorsqu’un portefeuille fortement endetté (par un « effet de levier » dû aux emprunts contractés avec un apport minimal) subit de lourdes pertes. Ce problème potentiel au sein des fonds de pension, lié à l’utilisation des « LDI » (« investissements guidés par le passif ») comme outil de gestion, avait déjà été identifié par la Banque d’Angleterre en 2019. Kwarteng et Truss ont effectivement mis le feu aux poudres qui existait déjà dans le système, dont ils n’avaient pas compris les mécanismes ni la fragilité. La vente massive des obligations suite à leur mini-budget a enclenché un cercle vicieux (« Doom Loop ») en faisant chuter les prix : c’est à ce moment-là que la Banque d’Angleterre a agi pour stabiliser le marché en promettant de dépenser jusqu’à 65 milliards de livres en achetant des emprunts d’État.
Kwarteng est parti le 14 octobre, remplacé au ministère des Finances par Jeremy Hunt. Annonçant au Parlement un retrait humiliant des mesures budgétaires de son prédécesseur, Hunt a laissé la politique économique de Liz Truss en lambeaux, rendant sa démission inévitable. Tout nouveau ministre des Finances devra faire face à une situation peu enviable, devant lutter contre l’endettement sans provoquer la colère sociale avec un plan d’austérité impopulaire. Comme nous l’avons vu, il ou elle se trouvera confronté(e) à un champ de mines ou tout faux pas pourrait s’avérer fatal.
Comment Liz Truss a-t-elle pu faire naufrage en si peu de temps ? Il est clair que le moment fatal était l’annonce le 23 septembre, par l’ex-ministre des Finances Kwasi Kwarteng, de mesures budgétaires contraires à l’orthodoxie économique, au nom de la « croissance ». Mesures qui ont provoqué à la fois une chute historique de la livre sterling (qui a atteint un plancher historique par rapport au dollar (1,035 $ = 1 £) et l’implosion soudaine du marché obligataire, face à laquelle la Banque d’Angleterre a dû intervenir massivement le 28 septembre. Ce chaos sur les marchés, qui a manifestement surpris Truss et Kwarteng, a été expliqué par les analystes en évoquant des facteurs politiques assez faciles à comprendre, mais aussi des questions techniques plus complexes qui méritent néanmoins d’être étudiées en raison de leurs implications potentielles pour l’avenir.
Tout d’abord, le caractère expérimental du mini-budget a déclenché une crise de confiance dans les compétences financières du gouvernement de Liz Truss. Face à un taux d’inflation proche de 10%, la Banque d’Angleterre (ayant comme objectif de le ramener à 2%) augmentait déjà les taux d’intérêt afin de ralentir la circulation de l’argent. Truss et Kwarteng sont allés dans le sens inverse en annonçant des réductions d’impôts et des subventions énergétiques, tout en augmentant la dette publique de 72 milliards de livres en cette année fiscale. Décision perçue comme inflationniste, et qui a provoqué un avertissement inhabituel du FMI : « Compte tenu des pressions inflationnistes élevées dans de nombreux pays, y compris le Royaume-Uni, nous ne recommandons pas de packages budgétaires (dépenses) importants et non ciblés à ce stade, car il est important que la politique budgétaire ne fonctionne pas à contre-courant de la politique monétaire. »
La réaction des marchés aux annonces de Kwarteng a été quasi-instantanée, notamment à cause du rôle de l’intelligence artificielle (dont l’OCDE avait souligné les risques potentiels pour l’économie en 2021) dans l’automatisation des opérations financières. La chute de la livre sterling a été accompagnée d’une véritable tempête sur le marché obligataire. Les rendements (« yields », considérés comme un indicateur de risque) ont augmenté soudainement, synonyme d’une perte brutale de valeur des obligations. Cela a déclenché une crise pour les fonds de pension britanniques, qui ont commencé à vendre en panique leurs obligations afin de répondre aux « appels de marge » – des demandes urgentes de fonds supplémentaires de la part des courtiers – pour couvrir leurs positions. Ce scénario se produit lorsqu’un portefeuille fortement endetté (par un « effet de levier » dû aux emprunts contractés avec un apport minimal) subit de lourdes pertes. Ce problème potentiel au sein des fonds de pension, lié à l’utilisation des « LDI » (« investissements guidés par le passif ») comme outil de gestion, avait déjà été identifié par la Banque d’Angleterre en 2019. Kwarteng et Truss ont effectivement mis le feu aux poudres qui existait déjà dans le système, dont ils n’avaient pas compris les mécanismes ni la fragilité. La vente massive des obligations suite à leur mini-budget a enclenché un cercle vicieux (« Doom Loop ») en faisant chuter les prix : c’est à ce moment-là que la Banque d’Angleterre a agi pour stabiliser le marché en promettant de dépenser jusqu’à 65 milliards de livres en achetant des emprunts d’État.
Kwarteng est parti le 14 octobre, remplacé au ministère des Finances par Jeremy Hunt. Annonçant au Parlement un retrait humiliant des mesures budgétaires de son prédécesseur, Hunt a laissé la politique économique de Liz Truss en lambeaux, rendant sa démission inévitable. Tout nouveau ministre des Finances devra faire face à une situation peu enviable, devant lutter contre l’endettement sans provoquer la colère sociale avec un plan d’austérité impopulaire. Comme nous l’avons vu, il ou elle se trouvera confronté(e) à un champ de mines ou tout faux pas pourrait s’avérer fatal.