L'expansion du chemsex : quand une pratique illégale ravage des vies
Le 17 octobre 2024, le député LFI Andy Kerbrat était interpellé avec 1,35 g de 3-MMC, une drogue de synthèse de la famille des cathinones, financée sur son enveloppe de député, dont il comptait faire usage lors d'une soirée « chemsex ». Ce cas rappelle la tempête médiatique Pierre Palmade du 10 février 2023. Il est inculpé pour homicide involontaire lors d'un accident de voiture grave sous emprise de drogue, possiblement après un épisode chemsex. Son procès du 20 novembre prochain tranchera mais le comédien a déjà été mentionné dans un dossier chemsex peu de temps auparavant. L'hypothèse est donc plausible et ces deux épisodes médiatiques mettent en lumière ce fléau caché mais ravageur.
Le chemsex, késako et qui concerne-t-il en France aujourd'hui ? C'est une pratique sexuelle dans laquelle les partenaires se droguent pour décupler leurs sensations, augmenter leurs performances sexuelles et se désinhiber. Une étude de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), parue en octobre 2024, dresse un bilan sur son évolution depuis quinze ans (en sélection ci-dessous). Surtout pratiqué en clubs et milieux festifs avant 2010, le chemsex a basculé aujourd'hui dans l'espace privé voire le domicile. Cela est dû au développement d'applications (avec leur langage et le mode d'emploi), à une visibilisation générale de la pratique, valorisée par certains sur les réseaux sociaux ou à la télévision, voire expliquée en détails et encouragée, mais aussi à une facilitation de l'accès à la drogue. Le « chem's » concerne surtout les hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes (HSH) : 13 à 14 % d'entre eux ont eu ce genre de rapport l'an passé, dont 5 à 7 % lors de leur dernier rapport sexuel. Les milieux libertins (hétéros, bi...) ou d'autres pratiques individuelles y ont aussi recours.
Établir des chiffres précis reste complexe car la détention et l'usage de drogue étant illégaux, bon nombre de consommateurs se cachent. Pour les seuls HSH, ils seraient entre 100 000 et 200 000 personnes selon un rapport remis au Ministre de la Santé en 2022. Le bilan de l'OFDT fait néanmoins état d'une croissance rapide, notamment chez les très jeunes dont c'est parfois la première expérience sexuelle. Cette réalité est déjà si importante que la Mutuelle étudiante y dédie une prévention.
Au cœur du processus, l'accès aux substances illicites interroge. Il est même déconcertant de voir avec quelle facilité les chemsexeurs s'en procurent. L'enquête menée par France 3 AURA le prouve : commander en ligne et se faire livrer à des prix dérisoires est un jeu d'enfant. Au « menu » : du GBL (le gameux GHB), des cathinones (dont la 3-MMC est le produit phare) et plus récemment, la kétamine utilisée pour le slam, des injections de cocktails drogues/dopants sexuels. Leur commerce alimente toute une économie souterraine contre laquelle il est devenu très difficile de lutter (voir LSDJ n°1920 ou Charlotte d'Ornellas, le 05/09/2023 dans Face à l'Info).
Dans le chemsex, les prises sont intrinsèquement liées à des pratiques sexuelles débridées. On cherche à « planer » pour se désinhiber et oublier les risques de MST, IST et VIH en s'adonnant à des partouzes et à des pratiques"hard"... Certains dispositifs médicaux encouragent malgré eux cette mise en danger : c'est le cas de la PrEP, une prévention au sida que de plus en plus de HSH utilisent pour se passer de préservatifs lors des rapports.
Au-delà des risques sanitaires, les conséquences sont aussi graves sur les plans physiques et psychologiques. Le risque le plus important est celui de l'addiction. Le sexe et le contexte social sont des portes d'entrées à la consommation mais elle peut ensuite prendre toute la place. Dans les divers problèmes rencontrés, il y a d'abord le "bad", qui est la chute post-euphorie : un mélange de tristesse suicidaire et de maux physiques (douleurs de ventre, fièvre, frissons etc.) Ensuite viennent l'absence de productivité et l'hébétude. Il faut dire que les marathons chemsex peuvent durer jusqu'à 3-4 jours sans repos et sans autre alimentation que la drogue ou presque ! La notion du temps disparaît et le retour au réel s'accompagne d'un tel épuisement que plusieurs consomment alors de la drogue pour « tenir », incapables de faire quelque chose sans. La perte de leurs moyens devient permanente et travailler, conduire ou interagir avec les autres se fait toujours sous l'emprise de produits. Ils sont un danger pour les autres en plus d'eux-mêmes (cf. l'affaire Palmade), parfois jusqu'à mort d'homme ! Le cas du mari de Jean-Luc Romero a fait du bruit mais beaucoup d'autres décès ne sont pas relayés par la presse.
Pour endiguer le phénomène, des suivis en addictologie existent ainsi que des associations, des lieux de cure, etc. Mais c'est un parcours long qui fait appel à la volonté du patient, une donnée fluctuante. Le témoignage d'Aubin résume ses enjeux. Comme lui, de plus en plus de victimes du phénomène prennent la parole pour sensibiliser et éviter cet enfer à d'autres. Les jeunes ont parfois débuté en fin de collège une dépendance au chemsex de plusieurs années ! À Lyon, un documentaire de sensibilisation a été tourné (voir sélection, contenu explicite). Restent à ce que des leviers politiques soient activés. Ironie du sort : le député Andy Kerbrat signait le jour même de son interpellation une pétition demandant au gouvernement de s'en préoccuper...