Les États-Unis plus polarisés que jamais suite au verdict contre Donald Trump
Beaucoup avaient prédit que la conviction éventuelle de Donald Trump par une cour à Manhattan serait LE moment décisif de la campagne présidentielle aux États-Unis. Toutefois, malgré le verdict unanime, de multiples sondages et analyses indiquent que cela n'a pas été le cas. Le procès concernait une fraude comptable de 2016 visant à étouffer le scandale de relations sexuelles en 2006 entre Trump et la star du X Stormy Daniels. Le fait que les actions d'un ex-président des USA aient été condamnées par la justice est certes historique en soi. En revanche, cela n'a mené ni à une baisse subite de soutien à la candidature de Trump, ni à des appels retentissants au sein du parti républicain pour le remplacer. Au contraire, sa campagne a récolté la somme considérable de $53 millions dans les vingt-quatre heures qui ont suivi le verdict — signifiant la très forte mobilisation de sa base électorale. Cette situation pourrait évoluer dans le cas où il serait condamné à une peine de prison le 11 juillet, 4 jours avant la Convention républicaine où sa candidature devrait être entérinée. Un scénario pourtant jugé hautement improbable par la plupart des commentateurs : on estime qu'aucun juge ne voudrait prendre le risque de déclencher un conflit social potentiellement violent avec l'incarcération de Trump. Ce dernier brandit d'ailleurs lui-même la menace d'un tel conflit.
Si les intentions de vote semblent avoir peu bougé depuis le verdict, les États-Unis sortent du procès plus polarisés que jamais. Soutenus par des médias très partisans, les deux partis se campent sur des lectures radicalement opposées des événements. Pour les Démocrates, le verdict contre Trump n'a fait que consolider l'image d'un homme amoral qui met la démocratie en péril mortel. Le but du "hush money" payé à Stormy Daniels était d'influencer l'élection de 2016 qu'il a fini par remporter contre Hillary Clinton. Selon cette interprétation, la conviction de Trump est un triomphe pour l'État de droit, montrant que personne n'est au-dessus de la loi. Les Républicains disent au contraire que le danger vient de l'administration de Biden et que Trump aurait été la victime d'un procès politique, comme il l'a argué avec véhémence immédiatement après le verdict. Certains de ses propos relèvent du populisme pur, comme l'affirmation qu'il serait persécuté par un « état fasciste ». D'autres arguments sont cela dit plus sérieux ; par exemple, le fait qu'il a été condamné d'avance par le refus de transférer le procès vers un endroit moins dominé par les Démocrates (largement majoritaires à Manhattan). Si beaucoup de Républicains partagent évidemment ce point de vue, certains Démocrates estiment également que se focaliser excessivement sur les problèmes légaux de Trump serait une erreur et qu'il vaudrait mieux s'occuper des questions économiques et sociales.
Pour le moment, les deux camps restent plus au moins à égalité dans les sondages (IPSOS/HarrisX/DDHQ). Les chiffres nationaux restent néanmoins sujets à caution dans la mesure où la présidentielle américaine ne repose pas sur le suffrage universel direct mais sur le collège électoral (où le vainqueur dans un état rafle tous ses « grands électeurs »). Les analystes soulignent que tout se jouera très probablement dans quelques districts indécis : les sept « swing states » de la Pennsylvanie, du Michigan, du Wisconsin, de l'Arizona, du Nevada, de la Géorgie et de la Caroline du Nord.
Étant donné que 43 % des Américains se disaient indépendants des deux partis principaux en 2023, l'éventuel impact d'autres candidats devient une question intéressante. Ceux qui ne pourront pas gagner pourraient néanmoins jouer un rôle déterminant dans le cas d'une élection très serrée. C'est visiblement ce que craignent Républicains et Démocrates quant à la candidature de Robert F. Kennedy Jr. (neveu de JFK). Décrit par certains comme un "X-Factor" potentiel de la présidentielle, l'ex-Démocrate « RFK » a été crédité de 14 % à 17 % d'intentions de vote dans certains sondages. Il pourrait attirer les nombreux "double haters" qui ne veulent ni de Trump, ni de Biden.
Les relations entre Trump et Kennedy sont plutôt paradoxales. D'un côté, RFK estime que le procès contre Trump a été « profondément anti-démocratique », accusant le parti démocrate de vouloir le vaincre en justice plutôt qu'aux urnes — par peur de perdre en novembre. De l'autre, Trump a récemment fustigé Kennedy comme un pion libéral du parti démocrate, issu d'une famille de fous. Il n'est pas aisé de dire quel parti serait le plus affecté par une candidature de RFK — qui reste pour l'instant théorique puisqu'il n'est sur le scrutin que dans une dizaine d'états à l'heure actuelle. Kennedy s'est lui-même plaint des efforts pour le barrer non seulement des élections mais même des débats télévisés, les deux partis étant curieusement unis en refusant sa participation. En maintenant leur « duopole » ("duopoly") de la vie politique américaine, ils semblent déterminés à afficher leur volonté d'un duel à mort le 5 novembre. ce règlement de comptes fera suite à une campagne qui s'annonce non moins brutale que celles de 2016 et 2020.