
Espagne : une résurrection économique à nuancer
Dans son numéro du mois de décembre 2024, l'hebdomadaire britannique The Economist a présenté l'Espagne comme un modèle pour l'Europe, après la publication de ses résultats économiques pour l'année 2024. Sa croissance de 3 % a impressionné ses voisins européens qui peinent tous à dépasser les 1%. En 2024, la France a enregistré un taux de croissance de 1,1 %, loin devant l'Italie (0,5 %), le Royaume-Uni (0,1 %) et l'Allemagne, dont l'économie s'est contractée de 0,2 %.
Les explications de cette croissance espagnole exponentielle sont d'abord son secteur du tourisme en plein essor. L'an dernier, l'Espagne a enregistré son plus haut niveau de touristes de l'histoire, avec 94 millions de visiteurs. Il s'agit d'une hausse de 10 % par rapport à 2023, qui a rapporté 126 milliards d'euros à l'économie du pays, un chiffre en hausse de 16 %. L'Espagne se rapproche ainsi du numéro 1 européen, la France, que 100 millions de touristes ont visité l'an dernier. Grâce à son faible coût du travail, combiné à des prix énergétiques restés faibles malgré l'interruption des livraisons de gaz par la Russie, l'Espagne demeure un pays compétitif pour le tourisme.
Le développement des investissements publics explique aussi cette augmentation de la croissance espagnole. Le processus de modernisation des infrastructures est subventionné massivement par les fonds de rétablissement de la Covid-19, issus du programme Next Generation de l'Union européenne (NGEU). D'ici à 2026, l'Espagne devrait recevoir 163 milliards d'euros dans le cadre de ce programme d'aides, dont l'Espagne est la deuxième bénéficiaire derrière l'Italie. Cette dernière recevra 194,4 milliards d'euros de ce programme d'ici à l'année prochaine. Les investissements publics ont permis au secteur de la construction espagnol de croître de 2 % en 2024. Il est par ailleurs prévu que la croissance de ce même secteur soit de 3 % entre 2025 et 2028. En septembre de l'année dernière par exemple, Adif AV, qui gère les lignes à grande vitesse en Espagne, a annoncé investir 24,1 milliards d'euros pour la modernisation du réseau ferroviaire du pays.
Les investissements privés sont aussi en augmentation en Espagne. L'an dernier, le constructeur automobile Stellantis, ainsi que CATL, une entreprise chinoise de fabrication de batteries, ont annoncé la construction d'une nouvelle usine de batteries à Saragosse. Par ailleurs, le fabricant automobile chinois Chery International a annoncé choisir Barcelone pour la construction de sa première usine de batteries en Europe.
L'arrivée de centaines de milliers d'immigrés, venus occuper des postes vacants dans le domaine de la construction, de la santé et des services, est aussi un atout pour l'économie espagnole. Depuis 2019, la main-d'œuvre étrangère a augmenté d'environ 1,2 millions de personnes, essentiellement originaires d'Amérique latine. Pour autant, il s'agit d'une main-d'œuvre peu qualifiée, avec des bas salaires, ce qui relativise l'ampleur de la croissance qu'elle apporte à l'économie du pays. Les résultats de l'économie espagnole demeurent toutefois supérieurs à ceux du Canada et du Royaume-Uni, qui ont eux aussi connu un boom migratoire semblable avant et après la pandémie, mais dont le PIB par personne a baissé sur la même période.
La forte croissance de l'Espagne ne doit pas masquer ses importantes faiblesses économiques. D'abord, son taux de chômage, qui était encore à 10,6 % au dernier trimestre 2024. Il s'agit du taux le plus élevé de l'Union européenne, quatre points au-dessus de la moyenne de la zone euro (5,9 %). Une bonne nouvelle toutefois : le chômage est au plus bas depuis la crise de 2008. L'autre défi économique de l'Espagne est l'ampleur de ses dépenses publiques, qui s'élevaient à 59 % de son PIB en 2024. Ce taux, bien que comparable avec celui de l'Italie (54 %) l'an dernier, est le plus élevé d'Europe. Le problème majeur est que la dépense publique est surtout financée par la dette, qui s'élève à 104,5 % du PIB espagnol. Avec l'épuisement des fonds européens du programme NGUE, celle-ci devrait croître dans les prochaines années. La dette régionale est un autre sujet de préoccupation pour le pays. Celle-ci s'élevait à 328,9 milliards d'euros en 2024 et représentait 22,2 % du PIB espagnol.
L'image d'un pays en croissance est très positive pour le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez, dont la cote de popularité est la plus élevée en Espagne aujourd'hui : 43 % des Espagnols disent le préférer comme Premier ministre et le placent ainsi devant ses concurrents du Parti populaire, de centre-droit, le PP. La popularité du parti socialiste espagnol, PSOE, demeure en revanche contestée. Selon le dernier sondage de Europe Elects, le PSOE serait sérieusement devancé par le PP, qui bénéficie du soutien de 34 % de la population, contre 28 % pour le parti de Pedro Sanchez. Le parti conservateur Vox arrive troisième et enregistre 14 % des voix, son plus haut score depuis sa fondation.
Il reste désormais deux ans à Pedro Sánchez pour prouver qu'il est capable de relever l'économie de son pays durablement. La stabilité de sa coalition avec le parti de gauche Sumar sera un facteur déterminant pour sa future popularité.