Pour envahir Taïwan, la Chine avance ses pions sur l'échiquier mondial
L'apparition récente de troupes nord-coréennes en Russie, dont 8 000 dans la région de Koursk selon le gouvernement américain, semble avoir pris la communauté internationale par surprise. Comme l'ont souligné les représentants de l'Union européenne et plusieurs pays à l'ONU le 30 octobre, l'emploi de ces troupes dans des combats directs constituerait une escalade très sérieuse. Les commentateurs craignent une internationalisation du conflit, notamment à cause des possibles conséquences du traité de défense mutuelle ratifié entre Moscou et Pyongyang sur la péninsule coréenne.
Face aux derniers développements, beaucoup s'interrogent sur la position de Pékin, dont l'attitude à l'égard de la collaboration entre la Russie et la Corée du Nord est restée assez ambivalente jusqu'à présent. Dans ce contexte, il est intéressant de lire un article récemment publié sur le site anglophone Japan Forward par la dissidente chinoise en exil Jennifer Zeng. Elle note que l'idée d'une implication militaire nord-coréenne en Russie aurait été recommandée en septembre à Xi Jinping par un groupe de réflexion militaire chinois avec la contribution d'experts de l'armée et du ministère des Affaires étrangères. Ce rapport, résumé par l'ancien professeur de l'université de Pékin Yuan Hongbing, dont l'analyse a été traduite en anglais par Jennifer Zeng, évoque la réponse que la Chine devrait apporter au retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.
La thèse générale du rapport est que la deuxième présidence Trump pourrait être défavorable à la Chine, notamment en ce qui concerne ses projets envers Taïwan. Selon le rapport, Trump et les Républicains pourraient adopter une stratégie très différente de celle de Joe Biden, en commençant probablement par faire pression sur l'Ukraine pour qu'elle échange du terrain contre la paix avec la Russie. Une telle paix pourrait apaiser les relations entre la Russie et les États-Unis, libérant des ressources militaires américaines en Europe, mais aussi au Moyen-Orient, où une détente russo-américaine affaiblirait l'influence de l'Iran. Cela permettrait aux États-Unis de se focaliser sur la région indopacifique : par conséquent, les objectifs de la Chine concernant non seulement Taïwan, mais aussi la mer de Chine du Sud, deviendraient plus difficiles à atteindre.
Selon Yuan Hongbing, le rapport aurait fait trois recommandations spécifiques. D'abord, d'accroître le soutien chinois à la Russie en facilitant l'envoi de forces nord-coréennes dans des zones telles que la région de Koursk. Pour Jennifer Zeng, le résumé de Hongbing est « très crédible », étant donné qu'on a observé les mouvements de troupes nord-coréennes vers la Russie peu de temps après que le rapport aurait été soumis à Xi Jinping. La complicité chinoise est également suggérée par le silence de Pékin sur la question, malgré les appels occidentaux pour que la Chine freine la Corée du Nord. Selon le rapport, cette manœuvre permettrait de renforcer la position russe, en encourageant Moscou à durcir ses revendications. Il serait dans l'intérêt de la Chine d'entraver les négociations sur un cessez-le-feu en Ukraine. Il est intéressant de constater que des analystes sud-coréens voient une arrière-pensée assez semblable du côté de Pyongyang, qui contribuerait à prolonger la guerre pour solidifier ses rapports bilatéraux avec la Russie.
La deuxième recommandation du rapport est que la Chine renforce « l'axe de la résistance » soutenu par l'Iran au Moyen-Orient (Hamas, Hezbollah, militants irakiens, rebelles houthis au Yémen) afin d'occuper les Américains dans la région. À la lumière de l'apparent succès militaire d'Israël contre le Hezbollah et l'Iran, l'évolution de la situation ne semble pourtant pas aller dans le sens voulu par les experts chinois.
La troisième recommandation est que la Chine accélère ses plans pour mener à bien des opérations contre Taïwan dans une fenêtre stratégique allant de 2025 à 2027, avant que les États-Unis n'aient le temps de faire pivoter leurs forces vers l'Indopacifique.
Avec la victoire de Donald Trump, on devrait logiquement s'attendre à ce que les Chinois suivent les conseils du rapport, qui jette un éclairage intéressant sur leur pensée militaire. D'abord, il montre comment des régions géographiquement éloignées les unes des autres sont perçues par Pékin comme appartenant à un seul échiquier. Ensuite, s'il existe vraiment une relation directe entre le rapport et l'apparition de troupes nord-coréennes en Russie, l'implication chinoise serait plutôt opportuniste : les analystes militaires voient Moscou comme un partenaire de circonstance qui pourrait à long terme changer de camp et prendre un virage pro-occidental. Enfin, il est clair que pour les Chinois, tout s'analyse à la lumière de la « résolution » de la question de Taïwan. Ici, Pékin n'a pas attendu les résultats des élections américaines pour établir ses objectifs. À quelques semaines de l'ouverture de la « fenêtre » 2025-2027 pour agir contre Taïwan, cette question est manifestement devenue d'une extrême urgence pour toutes les parties concernées.