Emmanuel Macron vante la colonisation musulmane
L'image positive d'Al-Andalus se fonde sur une certaine réalité, mais largement exagérée. Cette période longue de près de huit siècles (711-1492) est marquée par des dynamiques complexes de traitement des minorités religieuses et une succession d'entités politiques. Al-Andalus a certes laissé un patrimoine architectural remarquable – la mosquée-cathédrale de Cordoue, l'Alcazar de Séville ou l'Alhambra de Grenade – ainsi que des savants illustres comme Averroès, Maïmonide ou Al-Zahrawi. Mais dans le mythe d'Al-Andalus, on amalgame ces exemples positifs à l'ensemble de la période. Derrière l'image idéalisée d'un paradis multiculturel raffiné se cache une réalité moins éclatante, loin des visions romancées.
Le traitement des chrétiens et des Juifs sous Al-Andalus était régi par le statut de « dhimmi ». Certes, ils étaient autorisés à pratiquer leur religion, mais l'historien et arabisant espagnol Serafín Fanjul compare leurs conditions de vie à celles des Sud-Africains noirs pendant l'apartheid. Si la société de l'Espagne médiévale est caractérisée par la coexistence de trois groupes religieux, fait culturel rare en Europe à cette période, elle était strictement hiérarchique. En contrepartie de la possibilité de pratiquer leur religion, les dhimmis vivaient dans des ghettos, devaient payer un impôt (la djizia) et porter des vêtements distinctifs ; ils n'avaient le droit ni de monter à cheval ni de construire des maisons plus hautes que celles des musulmans. En matière de justice, le témoignage d'un dhimmi valait la moitié de celui d'un musulman. Cette inégalité de droits faisait partie intégrante du système.
Les musulmans d'Al-Andalus, eux aussi, étaient loin d'être unifiés : la diversité entre Arabes, Berbères et Espagnols convertis générait de fortes tensions. Lorsque la dynastie omeyyade, d'origine arabe syrienne, se replie en Espagne après sa chute à Damas en 750, elle doit maintenir son autorité face aux Berbères et autres musulmans non arabes. Les Omeyyades imposent alors la langue et les coutumes arabes les plus « pures » malgré la diversité culturelle du pays. Après la chute des Omeyyades, les royaumes musulmans espagnols se divisent en taïfas et sont envahis par des dynasties berbères marocaines (d'abord les Almoravides, puis les Almohades) qui se révèlent encore plus rigoristes sur le plan religieux.
Dans cette société hiérarchique, les périodes de relative tolérance des minorités sont entrecoupées de rudes phases de persécution. À partir de 850, les chrétiens subissent une longue période de violences meurtrières après l'accusation de blasphème contre le prêtre Parfait de Cordoue. En 1066, le vizir juif de Grenade, Joseph Ibn Nagrela, est crucifié, et la population juive est massacrée. Enfin, le savant juif Maïmonide, faussement érigé comme une incarnation de la tolérance d'Al-Andalus envers les érudits des autres religions, doit fuir au Caire et faire semblant de se convertir à l'islam.
Le principal problème du mythe d'Al-Andalus est qu'il projette sur cette époque des notions anachroniques. Les concepts modernes de tolérance ou de liberté de conscience sont les produits de l'Occident moderne et étaient étrangers aux contemporains d'Al-Andalus, peu importe leur foi. Cette erreur historique conduit à chercher un modèle politique dans une société pourtant profondément inégalitaire.
La construction du mythe d'Al-Andalus est d'abord une invention romantique de la fin du XVIIIe siècle contre l'Espagne catholique, symbole du conservatisme religieux. Dans la lignée des idées des Lumières, un récit romancé d'Al-Andalus s'est progressivement imposé. Al-Andalus est devenu le symbole d'une ouverture culturelle de l'islam en contraste avec une Europe chrétienne jugée conservatrice et intolérante. Des auteurs comme Herder, qui parle des « Arabes anoblis qui éclairent la culture européenne » et, plus tard, Chateaubriand et Washington Irving, ont popularisé la vision d'une Espagne musulmane harmonieuse. Selon l'historien Mark R. Cohen, ce mythe s'est aussi renforcé en réponse à la déception des historiens juifs d'Europe centrale devant leur absence d'émancipation culturelle et politique : ils ont alors mis en avant la tolérance supposée de l'islam médiéval pour dénoncer l'incapacité de leurs contemporains à atteindre les mêmes standards de coexistence.
Alors que les propos d'Emmanuel Macron cherchaient sans doute à rapprocher le Maroc et la France, certains considèrent qu'idéaliser Al-Andalus est contre-productif. Effectivement, la nostalgie d'Al-Andalus est encore présente dans un certain imaginaire conquérant, en témoigne la rhétorique des groupes islamistes qui y fait fréquemment référence. La posture de repentance face à la colonisation française devient également absurde dès lors que l'on vante Al-Andalus, qui n'est autre qu'une occupation de huit siècles. Plutôt que de flatter un passé idéalisé, ce qui peut s'avérer à la fois dangereux et incohérent sur le plan politique, il pourrait être plus pertinent d'apporter de justes nuances à un sujet aussi complexe et délicat.