CRS SOS ! CRS SOS !
Politique

CRS SOS ! CRS SOS !

Par Louis Daufresne. Synthèse n°1281, Publiée le 21/05/2021
Quel rapport entre la police et la pâtisserie ? Les amendes et les amandes, répondra l’automobiliste. Ne serait-ce pas plutôt le millefeuille ? Quand la crème du calcul politique s’étale sur la pâte feuilletée du désespoir, cela forme souvent une couche de malentendu. Illustration avec la manifestation des policiers mercredi devant le Palais-Bourbon.

Leur cri ? « Le problème de la police, c'est la justice ! ». Au même moment dans l'hémicycle, Éric Dupond-Moretti défendait le projet de loi pour la « confiance » dans l'institution judiciaire. On vit son alter ego de l’Intérieur se joindre à la foule. La guerre police/Justice n’est pas nouvelle mais la scénariser ainsi est inhabituel. Gérald Darmanin protestait-il « contre lui-même » selon le mot de Marine Le Pen ou contre le garde des Sceaux ? Dans les deux cas, cela témoigne d’une confusion mentale à la tête de l’État. 

« Il faut nous aider ! », lui dirent des policiers. Réponse de Darmanin : « Tous les soirs, quand je me couche, je pense à vous ». On dirait Sarkozy et son « pas seulement quand je me rase ». Ce genre de phrase ressemble au sucre glace du millefeuille : c'est de la poudre aux lèvres. Que lui disait le policier ? Qu’il ne savait pas, quand il part au travail, « comment » il « va rentrer ». Sous-entendu comme le brigadier Éric Masson, tué en plein centre d’Avignon (Vaucluse) ou Stéphanie Monfermé, poignardée au commissariat de Rambouillet (Yvelines).  

La vérité est simple mais cynique : le pouvoir ne peut se passer de la police. C’est gilet pare-balles contre gilet jaune. Mais le pouvoir préfère avoir un « jeune » qui tue un flic plutôt que le contraire. Tout homme politique se souvient de Malik Oussekine (1986) ou de Zyed et Bouna (2005). Le fait qu’un délinquant soit tué (ou présumé tué) par la police est assorti d’un risque d’émeute et d’une facture politique. La démographie gouverne la démocratie. Les politiques iront toujours vers les plus nombreux. C’est un premier malentendu. Les policiers le craignent.

Alors pourquoi ce cirque des politiques ? Même Yannick Jadot crut bon de venir. Malgré des « différences », « j'ai considéré que ma place était aux côtés des policiers qui souffrent », déclara l'écologiste. À gauche, seul Jean-Luc Mélenchon fut cohérent. Absent, le chef des Insoumis parla de « manifestation à caractère ostensiblement factieux ». Les autres politiques vinrent pour ne pas laisser la matraque au RN. Le député LFI Alexis Corbière accusa le PS et le PCF de courir derrière des « thématiques d'extrême droite ». De fait, Olivier Faure proposa que la police ait un « droit de regard (…) jusqu'aux aménagements de peine » et Fabien Roussel suggéra que le meurtre d’une personne dépositaire de l'autorité publique fût puni de 30 ans de prison. Avec pareille mesure, Marine Le Pen n’a qu’à bien se tenir ! Mais depuis Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur sous Chirac, on sait que « les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent ». Encore une bonne source malentendu.

Gérald Darmanin vint à la manif pour diviser la gauche et embarrasser la droite. Les LR n’eurent d’autre choix que d’y affluer en masse : Christian Jacob, Bruno Retailleau (avec un pin's « Je soutiens la police »), Damien Abad, Annie Genevard, Éric Ciotti.  

Ce cirque des politiques a quelque chose d’indécent quand on le rapporte à leur inaction. Que demandent les policiers ? Des choses simples à mettre en place : 

1. Une vraie réponse pénale. Le lendemain de la manif fut voté le projet de loi Dupont-Moretti avec deux mesures-clés : une peine de sûreté de 30 ans pour les condamnés à perpétuité pour un crime contre un policier ou un gendarme, et la fin des rappels à la loi que les policiers assimilent à « un simulacre de justice », selon Fabien Jobard, spécialiste de la police. Interrogé par Mediapart, le chercheur rappelle toutefois que « dans les années 70, il y avait en proportion quatre fois plus de morts en service car la forme essentielle de la délinquance était le braquage à l’arme à feu » (7'40). Mais est-ce la même transgression de tuer à bout portant un policier et de riposter lors d’un hold-up ?

2. Un outil efficace. Rénover les commissariats, se doter de matériels performants. Fabien Jobard souligne le fossé entre le gratin et le prolétariat de la police bien qu'« en termes de rémunération par heures travaillées, les policiers soient beaucoup plus avantagés que des professeurs de l'enseignement secondaire » (8'30)Pleurer sur les moyens est une coutume syndicale mais on ne peut rationner ni la police ni l’armée sans mettre en péril la vie des hommes qui y servent et la société qu’ils protègent. Il y a une coïncidence entre cette manif et les tribunes des militaires. 

3. Outre des traitements plus élevés, des heures supplémentaires payées. On sait que les 35 heures sont inapplicables sur le terrain sécuritaire. Certains policiers ont 10000 heures sup en souffrance ! Dans un pays suradministré, on s'étonne que ce genre de sujet n’ait pas déjà été réglé dans un bureau…par un politique.
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Fabien Jobard : « Il y a un vrai malaise policier »
Mediapart
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