Le cessez-le-feu à Gaza : les dessous d'un accord fragile
À qui revient le « mérite » de l'entrée en vigueur du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas à Gaza ? Il s'agit bien sûr d'une question d'interprétation. L'administration américaine sortante insiste sur le fait qu'elle a travaillé de concert pendant la période suivant les élections de novembre 2024 avec l'équipe de Donald Trump afin de promouvoir le plan de Joe Biden, menée par Anthony Blinken. Il est néanmoins clair que le rôle de Steve Witkoff, l'envoyé spécial de Trump au profil inhabituel, a été crucial pour exercer une pression sur le Hamas et surtout sur Benjamin Netanyahou dans les jours précédant la signature de l'accord. Tous s'accordent pour dire que l'approche « transactionnelle » et très directe de Trump a réussi là où les efforts diplomatiques de Biden avaient échoué. Pourtant, le changement de l'équilibre des forces au Moyen-Orient semble également expliquer pourquoi l'accord de cessez-le-feu a finalement été signé en janvier 2025 après avoir été refusé par Netanyahou en 2024. Comme l'ont souligné les politologues Gilles Kepel et Antoine Basbous, Israël est sorti considérablement renforcé, tandis que son principal ennemi, l'Iran, s'est affaibli, non seulement suite à la défaite du Hezbollah, mais aussi à l'effondrement du régime de Bachar al-Assad en Syrie. L'« axe de la résistance » de Téhéran, dont faisait partie le Hamas, est désormais en lambeaux ; les rebelles houthis du Yémen subsistent, mais malgré leur capacité à perturber le transport maritime international en mer Rouge, ils ne représentent pas une menace existentielle pour Israël.
La situation politique interne en Israël doit également être prise en compte dans une analyse de la situation ; jusqu'à présent, un facteur majeur dans la réticence de Netanyahou à signer un cessez-le-feu était certainement la fragilité de sa propre coalition, et en particulier sa dépendance à l'égard de la droite ultra-nationaliste, représentée par le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir et le ministre des Finances Bezalel Smotrich. Les détracteurs de Netanyahou disent depuis longtemps que l'inclusion de factions violemment anti-palestiniennes dans sa coalition, suite à des élections très contestées en 2022, l'a exposé à un chantage permanent. Notamment parce que la chute de son gouvernement, soit la fin de son mandat en tant que Premier ministre, pourrait mener à l'emprisonnement de Netanyahou pour corruption.
La réception en Israël du cessez-le-feu a montré les profonds clivages de sa classe politique. Trois ministres du parti « Force juive » ont démissionné, dont Ben-Gvir, qui a qualifié l'accord de « scandaleux » : il avait plutôt préconisé l'arrêt total de toute aide humanitaire à Gaza afin de forcer le Hamas à libérer les otages israéliens. Le retrait de son parti laisse Netanyahou avec une majorité de seulement deux sièges (62 sur 120) à la Knesset. Par contre, Ben-Gvir n'a pas été suivi par Smotrich, dont le parti « Sionisme religieux » détient sept sièges. Il a fustigé la décision de Ben-Gvir comme irresponsable, tout en condamnant l'accord avec le Hamas. Partisan de la victoire totale, Smotrich a menacé de quitter le gouvernement si Israël ne retourne pas à la guerre à la fin des 42 jours de la première de ses trois phases.
Quant à l'opposition, menée par Yair Lapid, ses intentions ne sont pas totalement claires. Lapid a certes offert un soutien ponctuel, tactique à Netanyahou face aux menaces de Ben-Gvir, en lui promettant « tous les filets de sécurité » nécessaires pour conclure l'accord sur les otages. Cependant, les propos de Lapid révèlent des objectifs stratégiques très différents de ceux du gouvernement actuel : « Après les deux années terribles de notre histoire, la guerre doit prendre fin, le calme doit revenir dans nos vies. […] Nous devons réorganiser la carte du Moyen-Orient… Nous devons conclure l'accord avec l'Arabie Saoudite, mettre en place une coalition régionale contre l'Iran et créer un gouvernement alternatif à Gaza. » Lapid a également appelé à la démission de Netanyahou dans la foulée de celle du chef d'état-major de l'armée Herzi Halevi, qui a reconnu sa responsabilité lors de l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023. Il n'est donc pas garanti que Lapid sauve le gouvernement de Netanyahou dans le cas d'une défection de Smotrich dans quelques semaines.
Toutes ces considérations rajoutent au climat d'incertitude qui pèse sur l'avenir d'un cessez-le-feu dont même Donald Trump reconnaît la fragilité. Outre la question épineuse des modalités d'un retrait éventuel des forces israéliennes de la bande de Gaza, la future gouvernance du territoire reste le sujet de toutes les interrogations. Surtout, on ne sait pas qui sera l'interlocuteur palestinien lors de l'ultime phase de l'accord : Mahmoud Abbas de l'Autorité palestinienne s'est dit prêt à assumer la responsabilité à Gaza, mais pour l'instant, la vie quotidienne des Gazaouis est toujours gérée par le Hamas (son rival historique). En plus, Netanyahou a dit par le passé qu'il ne laisserait pas le « Hamastan » se transformer en « Fatahstan » (référence au Fatah, le parti d'Abbas). Les semaines à venir s'annoncent donc très délicates, à tous les niveaux.