Le Groenland : cette terre gelée que convoitent les grandes puissances
Dans une déclaration choc, le 7 janvier, Donald Trump a annoncé son intention d'annexer le Groenland et le canal du Panama aux États-Unis, après son investiture à la Maison-Blanche. « Nous en avons besoin pour notre sécurité nationale », argumentait le président élu, qui n'a pas écarté l'usage de la force pour arriver à ses fins. La vague d'émotion et d'incompréhension suscitée par cette déclaration a poussé le Secrétaire d'État américain, Anthony Blinken, à relativiser dès le lendemain le propos du président élu, lors d'une conférence de presse à Paris : « Il est évident que cela n'arrivera pas. Nous ne devrions sans doute pas perdre trop de temps à en discuter. » Le Wall Street Journal apprenait toutefois, dès le 8 janvier, que l'équipe du président Trump chargée de la sécurité nationale, avait déjà entamé des discussions sur le sujet. En réaction à la sortie de Trump, le Premier ministre groenlandais, Múte Egede, a réagi en affirmant que « le Groenland appartient au peuple du Groenland ». Depuis, Elon Musk est déchaîné sur le sujet et mène une guerre de communication quotidienne sur X avec Múte Egede — qui compte moins de 530 abonnés sur le réseau social !
Le Groenland, qui est sous la souveraineté du Danemark depuis 1814, connaît une présence militaire américaine depuis 1943, l'année où les États-Unis ont installé leur unique base militaire spatiale dans l'Arctique, la Pituffik Space Base. Celle-ci abrite notamment un système d'alerte antimissile, des systèmes de surveillance de l'espace, ainsi qu'un centre de recherche spatiale. Enfin, cette base permet à l'armée américaine de surveiller les eaux de l'Arctique. La présence américaine sur l'île s'est pérennisée à partir de 1951, après la conclusion d'un accord de défense bilatéral entre les États-Unis et le Danemark.
Les tentatives d'annexion ou d'achat du Groenland par les États-Unis remontent à 1867. Après l'achat de l'Alaska à la Russie pour la modique somme de 7,2 millions de dollars de l'époque (125 millions d'euros), le Secrétaire d'État américain, William H. Seward, avait démarré des négociations pour tenter d'acheter le Groenland au Danemark, mais sans succès. Moins d'un siècle plus tard, en 1946, les États-Unis ont offert 100 millions de dollars de l'époque, l'équivalent de 97 millions d'euros, pour l'achat du Groenland, mais ont essuyé de nouveau un refus du Danemark. Plus récemment, en 2019, Donald Trump a tenté d'acheter le Groenland une troisième fois, sans succès : le gouvernement groenlandais ayant affirmé que « le Groenland n'est pas à vendre ».
Le Groenland occupe une position stratégique dans l'Arctique. Il se situe sur les routes commerciales vers l'Europe et aussi sur une position militaire stratégique, le passage GIUK, une route maritime reliant le Groenland, l'Islande et le Royaume-Uni. Très surveillé durant la guerre froide, le passage GIUK est de nouveau au centre des luttes d'influence entre puissances. Depuis 2022 au moins, la Russie a commencé à envoyer davantage de sous-marins dans cette zone.
Par ailleurs, cette île de 2,166 millions de km² (environ 4 fois plus que la superficie de la France métropolitaine) et peuplée de seulement 56 000 habitants est convoitée par la Chine, qui a commencé à y investir pour l'exploitation de plusieurs mines et a même tenté d'y lancer la construction de trois aéroports, un projet bloqué par les Américains. Depuis quelques années, le Groenland se situe aussi sur la Polar Silk Road. Cette route commerciale, reliant le port chinois de Dalian à Rotterdam, via la mer de Béring et l'océan Arctique, permet déjà à la Chine d'exporter plus rapidement ses biens vers l'Europe, grâce à la fonte des glaces. Son objectif à terme serait d'éviter de plus en plus les détroits déjà saturés de Malacca et de Suez. La Chine est un partenaire économique secondaire pour le Groenland, qui lui exportait seulement 1,3 milliard de couronnes (174 millions d'euros) de ressources halieutiques (poissons, fruits de mer) en 2020. Le Danemark et la Lettonie sont les premiers destinataires des exportations de l'île.
Au-delà des ressources halieutiques, le Groenland possède un sous-sol dont les ressources sont recherchées par les Américains. Selon une étude de la U.S. Geological Survey, 1,5 million de tonnes de terres rares se situent dans le sous-sol groenlandais, presque l'équivalent des quantités présentes dans le sous-sol américain. On demeure encore bien loin des 44 millions de tonnes possédées par la Chine. Ces ressources sont indispensables pour la fabrication des batteries de voitures électriques, ont crû de 25 % en 2024. Toujours selon ce même institut, le Groenland possède l'équivalent de 17,5 milliards de barils de pétrole non exploités, ainsi que 1,48 milliard de mètres cubes de gaz off-shore.
Lors d'une conférence de presse à Copenhague, le 13 janvier, Múte Egede a tenté d'apaiser les tensions avec le nouveau président en annonçant vouloir coopérer davantage avec les États-Unis dans le domaine de la défense et de l'exploration de ses ressources minières. Avec l'accélération de la fonte des glaciers, le Groenland sera probablement le lieu d'affrontements stratégiques croissants, que les États-Unis de Trump tentent désormais de mener.