La déclaration de politique générale de François Bayrou : le grand art du flou
Le Premier ministre a prononcé sa déclaration de politique générale le 14 janvier devant l'Assemblée nationale. Il était attendu en priorité sur le budget avec en prime le sujet qui fâche tout rouge les oppositions : la réforme des retraites. Ce brûlot avait coulé son éphémère prédécesseur, Michel Barnier. François Bayrou a évoqué d'emblée cette menace en pratiquant l'autodérision: « 84 % des Français jugent que le gouvernement ne passera pas l'année et il m'arrive même de me demander où les 16 % restants trouvent la source de leur optimisme ». Impavide sous les cris des députés de La France insoumise, le Béarnais a souligné que le redressement des finances publiques, menacées par la dette et par le financement des retraites, est une responsabilité « morale » envers le pays.
Concrètement, la réforme tant décriée d'Élisabeth Borne sera, non pas abrogée, mais, nuance, « remise en chantier » devant et avec les partenaires sociaux après une « mission flash » confiée à la Cour des comptes et avec un objectif de révision d'ici l'automne 2025. À condition que cette refonte n'entraîne pas une nouvelle dégradation budgétaire. « Après des semaines de négociations avec le PS, le Premier ministre a finalement décidé de ne pas céder à leur exigence d'une suspension de la réforme de 2023. Mais il a néanmoins ouvert la voie à une abrogation de la réforme si les partenaires sociaux parviennent à s'accorder sur un système alternatif qui ne chamboulerait pas l'équilibre budgétaire du système », résume Europe 1 (15/01/2025).
La méthode Bayrou consiste à désigner l'objectif en laissant dans un flou impressionniste les moyens pour l'atteindre (cf. L'Opinion, 14/01/2025 en lien ci-dessous). L'objectif, en résumé, c'est de réduire l'endettement, « débureaucratiser » l'État, revaloriser le rôle des entreprises, ramener l'immigration à une « proportion » compatible avec nos capacités d'accueil et d'intégration. À ce propos, François Bayrou s'est montré pédagogue : « L'installation d'une famille étrangère dans un village pyrénéen ou cévenol, c'est un mouvement de générosité qui se déploie. (…) Mais que trente familles s'installent et le village se sent menacé », a-t-il expliqué, en déplorant que 93 % des OQTF (obligations de quitter le territoire) ne soient pas exécutées.
« L'avantage [de cette méthode] est d'avoir su se placer au niveau d'un regard général, et à certains moments inspiré, sur le pays », commente Guillaume Tabard (Le Figaro, 14/01/2025). « Mais l'inconvénient est (...) que le refus de la technicité et de l'exhaustivité n'interdit pas un minimum de précisions. Or, celles-ci attendront. Il ne suffira pas de multiplier les conférences ou de « réveiller » des comités pour régler les innombrables questions du moment. » On retrouve en effet dans le discours du Premier ministre, sous diverses appellations — « mission flash », « conclave », « délégation » — les « comités Théodule » qui ont fait les délices du parlementarisme avant la Cinquième République, déplore Paris Match (15/01/2025).
Cet avis semble largement partagé : le Premier ministre cherche avant tout à gagner du temps pour faire voter les budgets. « L'enjeu, en fait, c'est de faire tourner la boutique. Ce qui n'est déjà pas mal, par les temps qui courent », estime l'éditorialiste de Boulevard Voltaire (14/01/2025). Causeur (15/01/2025) veut aussi positiver : « Non, Bayrou n'a pas brassé du vent (…) Car il y avait, dans les mots qu'il a prononcés (…) des accents de vérité comme on n'en entend que trop rarement au parlement. Sur l'Éducation nationale par exemple : “Les enseignants de notre université dépeignent des étudiants de première année qui ne parviennent pas à écrire un texte simple, compréhensible avec une orthographe acceptable. Ceci, c'est pour moi le plus grand de nos échecs." »
On notera également des propositions intéressantes, comme la création d'une banque de la démocratie pour soutenir les partis politiques indépendamment des banques privées ou encore le soutien à une réforme électorale introduisant la proportionnelle pour les élections législatives. Reste à savoir si elles seront suivies d'effet, notamment la seconde qui — s'il s'agit de proportionnelle intégrale — risque de susciter une forte opposition.
Mais alors, pourquoi 68 % des Français ayant suivi la prise de parole du Premier ministre à l'Assemblée nationale affirment qu'il ne les a pas convaincus ? (sondage Odoxa-Backbone pour Le Figaro, 16/01/2025.) « C'est sans doute la forme, mais aussi le faible contenu et le peu d'annonces qui expliquent que si peu de Français aient été “convaincus” », estime le président de l'institut, Gaël Sliman. Ces déçus pourraient bien se retrouver dans ce « coup de gueule » du maire (divers droite) de Béziers, Robert Ménard sur le plateau de LCI (14 janvier) : « L'habileté (…) on s'en fout ! Où sont les décisions ? Il y a plein de mesures qu'on peut prendre sans passer par la loi. Qu'ils les prennent, ces mesures ! ».
Les électeurs de droite ont de nouveaux motifs de se sentir floués, juge Vincent Trémolet de Villers dans son éditorial d'Europe 1 (17/01/2025). Pas seulement à cause des concessions faites au Parti socialiste pour l'arracher au mélenchonisme (pour un coût estimé à trois milliards d'euros par Les Échos 17/01/2025). Mais aussi pour des raisons fondamentales : pas un mot, par exemple, dans le programme du Premier ministre, sur la politique familiale, pourtant essentielle pour redresser une natalité en berne, tandis que le projet de loi sur la fin de vie va être relancé sous la houlette du député Modem pro-euthanasie Olivier Falorni.