Politique
Bellamy, le déshérité
Ainsi, le philosophe a bu la ciguë, comme nous le jugions probable dans notre LSDJ du 30 janvier dernier. La greffe Bellamy sur les LR a été rejetée, moins à cause de lui que des LR eux-mêmes. En politique, ne l’oublions pas, si les partis trépassent, les hommes ne meurent jamais.
La droite ne pense pas, elle compte. Ces élections européennes ont vérifié l’adage, et de manière spectaculaire. Pour la première fois depuis Georges Pompidou, cette famille politique s’était choisi un intellectuel, un homme de l’être, pourrions-nous dire. Et le voilà blackboulé comme un malpropre. Les réflexes légalistes n’ont pas joué en faveur de la loi naturelle, de la légitimité d’un combat de civilisation ordonné autour de la transmission de l’héritage et de la permanence d’une culture, pour reprendre tous les éléments de langage chers à François-Xavier Bellamy, en particulier dans ses livres (les Déshérités et Demeure).
Non, les réflexes légalistes ont joué en faveur d’intérêts de caste. Le désaveu qu’a subi le philosophe n’a d’égal que le soutien apporté au parti de l’ordre, celui nécessaire à la bonne santé des affaires. Il est frappant de voir à quel point LREM cartonne dans les Hauts-de-Seine (33,57%), le département le plus riche de France, ou les Yvelines (30%), très loin devant le RN, respectivement à moins de 10% dans le 92 et 15% dans le 78. Versailles a majoritairement donné ses suffrages à Nathalie Loiseau (29,6%), LREM y devançant de deux points l’élu communal. Le centrisme de cette ville s’est une nouvelle fois confirmé, alors qu’une élection comme celle-ci, sans enjeu local, aurait pu ouvrir le champ à de nouvelles figures. C’est la seconde fois, après les législatives, que François-Xavier Bellamy s’y voit infliger un revers. Sa personne n’y est sans doute pour rien dans ce désastre. Certes, le personnage est trop classique, pas assez rentre-dedans. Mais tous, y compris ses adversaires, reconnaissent ses qualités intellectuelles et oratoires.
La question est d’un autre ordre : bien qu’il soit encore jeune, il incarne cette France dite "bien élevée" - qui est sociologiquement en voie d’extinction. Une France ni bobo ni prolo. Celle qui peuplait à Paris le "bon XVIIe" de la plaine Monceau, dont les familles BCBG moquaient gentiment "les nouveaux riches du XVIe" voisin. Les seconds viennent d’enterrer les premiers ou plutôt les enfants des premiers sont devenus comme ceux des seconds. Des décennies de non-enseignement de l’histoire à l’école et d’imprégnation des mœurs par les business school ont déraciné toute une famille politique qui, il est vrai, n’a guère remarqué qu’elle aurait pu se méfier plus tôt de certaines influences éducatives. C’est étonnant comme François-Xavier Bellamy est à lui-même sa propre prophétie. Tout son discours sortait comme du plein dans un vide déjà creusé depuis longtemps par une nouvelle donne culturelle. Le personnage est arrivé sur le tard, tel un acteur jouant un rôle dans une pièce qui n’est pas écrite pour lui. Son discours devait faire l’effet de la Madeleine de Proust : rappeler à la droite de vieux souvenirs d’on ne sait pas très bien quelle époque. Laurent Wauquiez comptait sur cette réminiscence.
Mais les générations ont passé et l’amnésie, couplée à la doxa libérale, a eu raison d’un langage catho-intello censé donner du sens. Les couplets sur le bien commun parlent à des gens éduqués, "incubés" dans un écosystème fragile, à des personnes qui remettent en cause la suprématie de l’argent, qui sont ouvertes à la vulnérabilité et qui songent à autre chose qu’à leur week-end aux Maldives. Or, l’argent a tout balayé, devenant la seule mesure du vote. Ne pas voter LREM, c’était passer pour un ringard, un perdant, un sans-dent. À l’heure d’Instagram, les milieux qui se mettent une forte pression sociale (et la mettent sur leurs enfants) pensent à la valorisation de l’image autant que du capital. Les valeurs qui comptent sont cotées ; les autres sont mises de côté. François-Xavier Bellamy traduit-il l'impossible option consistant à être à la fois libéral et conservateur ? Comment poser une réflexion sur l’Homme quand le marché commande la vision que l'on a de lui ? Dans ce monde-là, l'argent est la seule limite de l'argent. Les LR qui avaient déjà voté Emmanuel Macron ironisaient sur le "très conservateur" Bellamy, sous-entendu "il est intelligent mais n’a pas compris le sens de l’histoire et, en plus, s’il réfléchit, il va finir comme Finkielkraut à 33 ans".
L’éditorial d’Alexis Brézet est éloquent à ce sujet. Le directeur des rédactions du Figaro prend acte qu’ "il n’y a plus rien entre Macron et Le Pen". Ce discours était curieusement celui du FN dans les années 80, quand Jean-Marie Le Pen vilipendait "la bande des quatre", sorte de parti présidentiel unique. Cette droite du Trocadéro et de la Manif pour tous vient de disparaître des radars. En deux ans, Emmanuel Macron a vengé François Hollande. Les sujets sociétaux et tous les autres ont fait imploser la marmite LR. Aux défections des juppéistes se sont ajoutés les conflits byzantins autour du charisme de Laurent Wauquiez et de son "obstination déraisonnable" à miser sur Bellamy. Le philosophe aurait-il pu escompter retrouver l’étiage de François Fillon ? Certains l’espéraient. Sauf que l'électeur n’a pas oublié que le candidat recalé du second tour s’était empressé d’appeler à voter pour Emmanuel Macron...
Que vont devenir les électeurs LR ? Avant de répondre à cette question, il faut s’en poser une autre : si comme l’écrit Le Figaro, il n’y a plus d’espace entre le pouvoir et le RN, cela signifie que les LR n’ont plus d’utilité. Ce parti a sous-estimé l’aspect vicieux et symbolique de cette élection, devenue plus importante qu’on ne le disait, comme en témoigne la mobilisation accrue. Ce scrutin rendait intenable le positionnement des LR sur l’Union européenne, rebelle dans les mots, suiviste dans les faits. Le profil d’un Bellamy, pas vraiment bonapartiste, empêchait par ailleurs qu’il franchît quelque pont d’Arcole en tête de Gilets jaunes. Sur ce terrain, une certaine bourgeoisie, effrayée par cette vague insurrectionnelle, a aussi volé au secours du soldat Macron, pensant que la France était menacée par le grand soir comme elle l’imaginait en 1982 par les chars soviétiques. François-Xavier Bellamy pouvait difficilement accrocher un autre public que celui de Sens commun et, à ce compte-là, il peut se dire que 8,5 %, ce n’est pas si mal, comparé aux résultats de chouchous des médias comme Raphaël Glucksmann ou Benoit Hamon.
La droite ne pense pas, elle compte. Ces élections européennes ont vérifié l’adage, et de manière spectaculaire. Pour la première fois depuis Georges Pompidou, cette famille politique s’était choisi un intellectuel, un homme de l’être, pourrions-nous dire. Et le voilà blackboulé comme un malpropre. Les réflexes légalistes n’ont pas joué en faveur de la loi naturelle, de la légitimité d’un combat de civilisation ordonné autour de la transmission de l’héritage et de la permanence d’une culture, pour reprendre tous les éléments de langage chers à François-Xavier Bellamy, en particulier dans ses livres (les Déshérités et Demeure).
Non, les réflexes légalistes ont joué en faveur d’intérêts de caste. Le désaveu qu’a subi le philosophe n’a d’égal que le soutien apporté au parti de l’ordre, celui nécessaire à la bonne santé des affaires. Il est frappant de voir à quel point LREM cartonne dans les Hauts-de-Seine (33,57%), le département le plus riche de France, ou les Yvelines (30%), très loin devant le RN, respectivement à moins de 10% dans le 92 et 15% dans le 78. Versailles a majoritairement donné ses suffrages à Nathalie Loiseau (29,6%), LREM y devançant de deux points l’élu communal. Le centrisme de cette ville s’est une nouvelle fois confirmé, alors qu’une élection comme celle-ci, sans enjeu local, aurait pu ouvrir le champ à de nouvelles figures. C’est la seconde fois, après les législatives, que François-Xavier Bellamy s’y voit infliger un revers. Sa personne n’y est sans doute pour rien dans ce désastre. Certes, le personnage est trop classique, pas assez rentre-dedans. Mais tous, y compris ses adversaires, reconnaissent ses qualités intellectuelles et oratoires.
La question est d’un autre ordre : bien qu’il soit encore jeune, il incarne cette France dite "bien élevée" - qui est sociologiquement en voie d’extinction. Une France ni bobo ni prolo. Celle qui peuplait à Paris le "bon XVIIe" de la plaine Monceau, dont les familles BCBG moquaient gentiment "les nouveaux riches du XVIe" voisin. Les seconds viennent d’enterrer les premiers ou plutôt les enfants des premiers sont devenus comme ceux des seconds. Des décennies de non-enseignement de l’histoire à l’école et d’imprégnation des mœurs par les business school ont déraciné toute une famille politique qui, il est vrai, n’a guère remarqué qu’elle aurait pu se méfier plus tôt de certaines influences éducatives. C’est étonnant comme François-Xavier Bellamy est à lui-même sa propre prophétie. Tout son discours sortait comme du plein dans un vide déjà creusé depuis longtemps par une nouvelle donne culturelle. Le personnage est arrivé sur le tard, tel un acteur jouant un rôle dans une pièce qui n’est pas écrite pour lui. Son discours devait faire l’effet de la Madeleine de Proust : rappeler à la droite de vieux souvenirs d’on ne sait pas très bien quelle époque. Laurent Wauquiez comptait sur cette réminiscence.
Mais les générations ont passé et l’amnésie, couplée à la doxa libérale, a eu raison d’un langage catho-intello censé donner du sens. Les couplets sur le bien commun parlent à des gens éduqués, "incubés" dans un écosystème fragile, à des personnes qui remettent en cause la suprématie de l’argent, qui sont ouvertes à la vulnérabilité et qui songent à autre chose qu’à leur week-end aux Maldives. Or, l’argent a tout balayé, devenant la seule mesure du vote. Ne pas voter LREM, c’était passer pour un ringard, un perdant, un sans-dent. À l’heure d’Instagram, les milieux qui se mettent une forte pression sociale (et la mettent sur leurs enfants) pensent à la valorisation de l’image autant que du capital. Les valeurs qui comptent sont cotées ; les autres sont mises de côté. François-Xavier Bellamy traduit-il l'impossible option consistant à être à la fois libéral et conservateur ? Comment poser une réflexion sur l’Homme quand le marché commande la vision que l'on a de lui ? Dans ce monde-là, l'argent est la seule limite de l'argent. Les LR qui avaient déjà voté Emmanuel Macron ironisaient sur le "très conservateur" Bellamy, sous-entendu "il est intelligent mais n’a pas compris le sens de l’histoire et, en plus, s’il réfléchit, il va finir comme Finkielkraut à 33 ans".
L’éditorial d’Alexis Brézet est éloquent à ce sujet. Le directeur des rédactions du Figaro prend acte qu’ "il n’y a plus rien entre Macron et Le Pen". Ce discours était curieusement celui du FN dans les années 80, quand Jean-Marie Le Pen vilipendait "la bande des quatre", sorte de parti présidentiel unique. Cette droite du Trocadéro et de la Manif pour tous vient de disparaître des radars. En deux ans, Emmanuel Macron a vengé François Hollande. Les sujets sociétaux et tous les autres ont fait imploser la marmite LR. Aux défections des juppéistes se sont ajoutés les conflits byzantins autour du charisme de Laurent Wauquiez et de son "obstination déraisonnable" à miser sur Bellamy. Le philosophe aurait-il pu escompter retrouver l’étiage de François Fillon ? Certains l’espéraient. Sauf que l'électeur n’a pas oublié que le candidat recalé du second tour s’était empressé d’appeler à voter pour Emmanuel Macron...
Que vont devenir les électeurs LR ? Avant de répondre à cette question, il faut s’en poser une autre : si comme l’écrit Le Figaro, il n’y a plus d’espace entre le pouvoir et le RN, cela signifie que les LR n’ont plus d’utilité. Ce parti a sous-estimé l’aspect vicieux et symbolique de cette élection, devenue plus importante qu’on ne le disait, comme en témoigne la mobilisation accrue. Ce scrutin rendait intenable le positionnement des LR sur l’Union européenne, rebelle dans les mots, suiviste dans les faits. Le profil d’un Bellamy, pas vraiment bonapartiste, empêchait par ailleurs qu’il franchît quelque pont d’Arcole en tête de Gilets jaunes. Sur ce terrain, une certaine bourgeoisie, effrayée par cette vague insurrectionnelle, a aussi volé au secours du soldat Macron, pensant que la France était menacée par le grand soir comme elle l’imaginait en 1982 par les chars soviétiques. François-Xavier Bellamy pouvait difficilement accrocher un autre public que celui de Sens commun et, à ce compte-là, il peut se dire que 8,5 %, ce n’est pas si mal, comparé aux résultats de chouchous des médias comme Raphaël Glucksmann ou Benoit Hamon.
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