Allons-nous vers la transition
Société

Allons-nous vers la transition "inclusive" ?

Par Louis Daufresne. Synthèse n°687, Publiée le 26/06/2019
Après la transition écologique, voici la transition inclusive. Il y a des mots bronzés dont l’usage est censé produire un effet magique. « Inclusif » appartient à ce lexique de la gouvernance moralement licite. Qui peut se prévaloir d’être « exclusif », alors que « la lutte contre l’exclusion » est quasiment érigée en principe constitutionnel ? L’idée est simple : la pleine citoyenneté s’acquiert en milieu ordinaire. Cette phrase prête à conséquences, pour tous ceux que l’État prend soin de protéger.

La vision inclusive est aujourd’hui promue par Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées. Son intention ? Aligner la France sur le rapport de l’ONU de Catalina Devandas-Aguilar, rendu public en mars dernier. Ledit rapport vise à nous faire changer de modèle. Que l'on soit mentalement déficient ou physiquement défaillant, chacun a le droit de vivre comme et avec tout le monde, au domicile, à l’école ou au travail. Vue sous cet angle, la France est mal notée car depuis la loi du 30 juin 1975 sur l'intégration des personnes handicapées, notre pays mise sur les institutions spécialisées, un modèle que la vision inclusive associe à une forme d’apartheid. Dans cette logique, tout traitement adapté devient un « développement séparé ». Inadmissible.

Les associations réagissent avec vigueur au tout-inclusion, à commencer par l’Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales) : « J'ai dit à Mme Cluzel que je ne voulais plus entendre parler de virage inclusif », explique Luc Gateau, son président. L’Unapei gère plus de 200.000 personnes en situation de handicap accompagnées, plus 3.000 établissements et services médico-sociaux et 94.000 professionnels. Ce qu’il craint, c’est une inclusion au rabais. Le risque, pointe l'Unapei, est que « ne restent plus dans les institutions que les personnes les plus lourdement handicapées ». Pour Pascale Ribes, de l'association APF France Handicap, « il ne faut pas dévoyer la transition inclusive pour faire des économies sur les aides à l'autonomie, qui se traduiraient par une moindre qualité de vie. On veut mettre tout le monde en milieu ordinaire, ajoute-t-elle, mais si c'est pour condamner les gens à rester enfermés chez eux, alors c'est le contraire de l'inclusion ! » Même chose pour l’école. Les familles craignent que leurs enfants ne bénéficient plus d'une scolarisation adaptée, alors même que les listes d'attente ne cessent d'augmenter pour décrocher une place dans les instituts médico-éducatifs. D’autant que « l’école ordinaire n’est pas du tout inclusive ; elle fait mal aux élèves en difficulté », souligne Philippe de Lachapelle, président de l’OCH (Office chrétien pour les personnes handicapées). Au travail, qui peut nier que la cadence exigée par l’entreprise risque d’être une source de très grande perplexité, à plus forte raison si l’accompagnement est limité ? Pour Didier Rambeaux, président de l'Association nationale des directeurs d'Esat, « seule une petite minorité des quelque 120.000 personnes concernées souhaite travailler en milieu ordinaire ».

La transition inclusive part néanmoins d’une belle idée, réalisée d’ailleurs par des initiatives comme l’habitat partagé : tout être humain, même diminué, a le droit de ne pas être exilé sur une île de lépreux. Mais il aussi le droit d’avoir le choix. Comme le dit l’universitaire Charles Gardou, référence sur ce sujet, « l’inclusion, c’est de permettre à chacun d’être partout chez soi ». Bien sûr, Sophie Cluzel affirme qu' « on ne va pas du tout vers une inclusion au rabais », et que ces termes « ne sont pas respectueux pour toutes les associations et les professionnels qui accompagnent déjà les personnes handicapées à l'école ou dans l'entreprise ». Mais la vraie question n’est-elle pas ailleurs ? Ne s’agit-il pas de faire de la place pour les enfants autistes ? Édouard Philippe a récemment déploré la « lenteur » dans le déploiement des unités d'enseignement externalisées (UEE), auquel cas le gouvernement hiérarchiserait les handicaps.
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