Culture
« Alice au Pays des Merveilles » : quelle place pour le merveilleux ou l’absurde dans une société sans normes ?
2021 marque les 70 ans d’un grand succès de Disney : « Alice au Pays des Merveilles ». Le dessin animé s’inspire d’un immense succès de littérature écrit en 1865 par Charles Lutwidge Dodgson (alias Lewis Carroll). La lecture de cette histoire, maintes fois commentée et interprétée depuis près de 120 ans, semble suivre le rapport de nos sociétés au réel et au rêve. Mary Harrington, pour le média en ligne Unherd (voir en lien ci-dessous), suit les traces laissées par cette histoire de 1865 à nos jours. Elle y voit une évolution dangereuse : la prédominance d’un nouveau « normal » déconnecté du réel pourrait signifier la ruine du merveilleux.
L’Angleterre victorienne de 1865 n’avait aucun problème pour distinguer le réel de l’imaginaire. Cette société qui dominait le monde était structurée à l’extrême. Son architecture, ses ponts de chemins de fer, ses viaducs, ne recherchaient que l’efficacité. La révolution industrielle imposait le « pratique » sur le « beau ». Charles Dickens s’est moqué de l’éducation stricte de l’époque dans son roman de 1855 « Hard times ». Le personnage caricatural du professeur Gradgrind s’attachait à effacer toute trace d’imagination chez ses élèves. C’était un monde utilitaire où chacun avait un rôle déterminé dès la naissance. La littérature fantastique, très populaire à l’époque, était un exutoire pour son jeune public. Les horreurs de deux guerres mondiales, qui dépassaient largement la peur que l’étrangeté peut provoquer dans l’inconscient, et la chute de l’Empire, ont fait disparaitre le goût pour l’absurde.
L’Amérique triomphante des années de l’après-guerre a pris la relève. Elle aussi pleine de certitudes, elle menait le « monde libre » dans sa guerre face au communisme. Le rêve américain battait son plein, fait de pavillons, de limousines et de robots de cuisine. Walt Disney a eu la géniale intuition de faire rêver la jeune génération qui n’était pas encore sensible aux sirènes du matérialisme. La version animée de 1951 a quelque chose de cauchemardesque par l’immersion qu’elle propose. Les enfants du 19ème siècle pouvaient toujours refermer le livre et les personnages étaient figés sur les pages… Mais les œuvres de Disney finissent en « happy end ». Le rêve américain est à portée de main en travaillant dur malgré toutes les adversités qu’on peut rencontrer…
Dans le livre de 1865, comme dans le film de 1951, Alice finit par se réveiller et revient chez elle pour l’heure du thé… La contre-culture psychédélique des années 60 a rejeté la notion même de normalité, associée au matérialisme et au puritanisme des années 50. La consommation de drogues était un terrier dans lequel plonger pour échapper au réel et habiter un monde meilleur. Certains ne se sont jamais réveillés de leurs « voyages ». Un « tube » de 1967 par Jefferson Airplane, « The White Rabbit » (voir le clip vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=YfASumLhC2U) reprend l’histoire d’Alice et célèbre le pouvoir libérateur des drogues.
Les héritiers des « Sixties » ont créé un nouveau monde virtuel : l’internet. Aujourd’hui, le « rabbit hole » (« terrier ») sur un réseau social est la métaphore pour désigner comment un algorithme guide l’utilisateur, par exemple d’une vidéo très populaire sur TikTok vers du contenu plus confidentiel, voire plus dérangeant. Au lieu de poursuivre un lapin blanc en lisant un livre ou en regardant un film, une machine nous conduit dans un labyrinthe sans fin. On a cédé à l’intelligence artificielle (« AI ») la mission de produire du rêve. L’œuvre de Carroll, comme la version de Disney, offrent une évasion, à la fois amusante et inquiétante, en contrepoint à la réalité. Mais un robot n’a aucune conscience de ce qui est normal, au-delà des informations qui lui sont données.
Si nous plongeons dans le « terrier » de 2021, nous n’allons pas rencontrer de chat en partie invisible ou de chenille fumeuse imaginaire, mais des algorithmes ne faisant aucune différence entre « normal » et « absurde ». Or Facebook vient d’annoncer que sa nouvelle priorité était la création de « métavers » (de « méta univers »). Toute personne visitant ce monde virtuel autonome y sera sous la forme d’un avatar pour communiquer. C’est le futur de l’internet mobile pour Mark Zuckerberg. On ressortira d’un « métavers » comme si on avait vécu une expérience réelle. Les enfants qui regardaient « Alice au Pays des Merveilles » ont rejeté le monde corseté et matérialiste proposé par leurs parents et ont vu dans la drogue le moyen d’entrer dans un monde parallèle libéré. En laissant à des robots le soin de formater l’imaginaire de nos enfants, nous acceptons une dissolution du « normal ». Une nouvelle génération occidentale est déjà gagnée par l’idéologie « woke », rejetant par exemple tout déterminisme sexuel venant de la nature biologique, ou des pans entiers de l’Histoire. Quelle place est laissée au merveilleux si le réel n’existe plus ? Quels rêves poursuivront donc les enfants de 2021 quand ils deviendront adultes ?
L’Angleterre victorienne de 1865 n’avait aucun problème pour distinguer le réel de l’imaginaire. Cette société qui dominait le monde était structurée à l’extrême. Son architecture, ses ponts de chemins de fer, ses viaducs, ne recherchaient que l’efficacité. La révolution industrielle imposait le « pratique » sur le « beau ». Charles Dickens s’est moqué de l’éducation stricte de l’époque dans son roman de 1855 « Hard times ». Le personnage caricatural du professeur Gradgrind s’attachait à effacer toute trace d’imagination chez ses élèves. C’était un monde utilitaire où chacun avait un rôle déterminé dès la naissance. La littérature fantastique, très populaire à l’époque, était un exutoire pour son jeune public. Les horreurs de deux guerres mondiales, qui dépassaient largement la peur que l’étrangeté peut provoquer dans l’inconscient, et la chute de l’Empire, ont fait disparaitre le goût pour l’absurde.
L’Amérique triomphante des années de l’après-guerre a pris la relève. Elle aussi pleine de certitudes, elle menait le « monde libre » dans sa guerre face au communisme. Le rêve américain battait son plein, fait de pavillons, de limousines et de robots de cuisine. Walt Disney a eu la géniale intuition de faire rêver la jeune génération qui n’était pas encore sensible aux sirènes du matérialisme. La version animée de 1951 a quelque chose de cauchemardesque par l’immersion qu’elle propose. Les enfants du 19ème siècle pouvaient toujours refermer le livre et les personnages étaient figés sur les pages… Mais les œuvres de Disney finissent en « happy end ». Le rêve américain est à portée de main en travaillant dur malgré toutes les adversités qu’on peut rencontrer…
Dans le livre de 1865, comme dans le film de 1951, Alice finit par se réveiller et revient chez elle pour l’heure du thé… La contre-culture psychédélique des années 60 a rejeté la notion même de normalité, associée au matérialisme et au puritanisme des années 50. La consommation de drogues était un terrier dans lequel plonger pour échapper au réel et habiter un monde meilleur. Certains ne se sont jamais réveillés de leurs « voyages ». Un « tube » de 1967 par Jefferson Airplane, « The White Rabbit » (voir le clip vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=YfASumLhC2U) reprend l’histoire d’Alice et célèbre le pouvoir libérateur des drogues.
Les héritiers des « Sixties » ont créé un nouveau monde virtuel : l’internet. Aujourd’hui, le « rabbit hole » (« terrier ») sur un réseau social est la métaphore pour désigner comment un algorithme guide l’utilisateur, par exemple d’une vidéo très populaire sur TikTok vers du contenu plus confidentiel, voire plus dérangeant. Au lieu de poursuivre un lapin blanc en lisant un livre ou en regardant un film, une machine nous conduit dans un labyrinthe sans fin. On a cédé à l’intelligence artificielle (« AI ») la mission de produire du rêve. L’œuvre de Carroll, comme la version de Disney, offrent une évasion, à la fois amusante et inquiétante, en contrepoint à la réalité. Mais un robot n’a aucune conscience de ce qui est normal, au-delà des informations qui lui sont données.
Si nous plongeons dans le « terrier » de 2021, nous n’allons pas rencontrer de chat en partie invisible ou de chenille fumeuse imaginaire, mais des algorithmes ne faisant aucune différence entre « normal » et « absurde ». Or Facebook vient d’annoncer que sa nouvelle priorité était la création de « métavers » (de « méta univers »). Toute personne visitant ce monde virtuel autonome y sera sous la forme d’un avatar pour communiquer. C’est le futur de l’internet mobile pour Mark Zuckerberg. On ressortira d’un « métavers » comme si on avait vécu une expérience réelle. Les enfants qui regardaient « Alice au Pays des Merveilles » ont rejeté le monde corseté et matérialiste proposé par leurs parents et ont vu dans la drogue le moyen d’entrer dans un monde parallèle libéré. En laissant à des robots le soin de formater l’imaginaire de nos enfants, nous acceptons une dissolution du « normal ». Une nouvelle génération occidentale est déjà gagnée par l’idéologie « woke », rejetant par exemple tout déterminisme sexuel venant de la nature biologique, ou des pans entiers de l’Histoire. Quelle place est laissée au merveilleux si le réel n’existe plus ? Quels rêves poursuivront donc les enfants de 2021 quand ils deviendront adultes ?
La sélection
We’ve followed Alice down the rabbit hole
Unhurd