10 mai 1981 : la gauche arrive au pouvoir
Politique

10 mai 1981 : la gauche arrive au pouvoir

Par Louis Daufresne. Synthèse n°1271, Publiée le 10/05/2021
C’est aujourd’hui le 40e anniversaire de l’arrivée de la gauche au pouvoir. Tout comme le 11 septembre 2001, on se souvient du 10 mai 1981. François Mitterrand devenait le premier président socialiste de la Ve République.

Cette victoire, il la devait en bonne partie aux réseaux de la sociologie catholique, dans la presse, les syndicats ou le milieu associatif.

Après le congrès d'Épinay, la décennie 1971-1981 correspond à la transformation du PS en parti de gouvernement. Selon l’universitaire Ismail Ferhat, on observe « une véritable "révolution culturelle" [qui] fait passer le socialisme français d’une culture laïque et ouvriériste, au demeurant hostile aux militants chrétiens, à une sensibilité ouverte aux nouvelles influences (féminisme, régionalisme, nouveaux mouvements sociaux). Cette évolution se traduit par un enracinement socialiste dans les régions de tradition catholique (Pays de la Loire, Bretagne) et aussi luthérienne (Alsace). « La progression est spectaculaire, dit-il, lors des élections municipales de 1977, qui voient de nombreuses villes de l’Ouest conquises ou restées aux mains du PS ». Le courant rocardien, analyse Ferhat, « peut justifier l’hypothèse d’un basculement, via la CFDT, le PSU, d’aires de tradition catholique vers le PS ». Michel Rocard et son discours de Nantes (1977) restent l’emblème de cette « deuxième gauche », réformiste non marxiste, avec Jacques Delors, ex-militant CFTC-CFDT.

C’est grâce à cette France-là, en particulier celle du grand ouest, que François Mitterrand arrive au pouvoir. Le 10 mai 1981, c'est aussi la génération 68 qui triomphe dans les urnes. L’espérance chrétienne et l’optimisme soixante-huitard sont-ils compatibles ? On peut les voir comme deux concepts absolument opposés, comme la transcendance et l’immanence.

Depuis les sixties l’optimisme progressait au dépens de l’espérance.

Malgré deux chocs pétroliers et l’inflation sous VGE, la France vivait dans « un gigantesque bain commercial d’optimisme ». L'expression est de Maurice Clavel (1920-1979). Le soulèvement de la vie est considéré comme le manifeste de 68. Le philosophe revenu à la foi chrétienne y avait vu une révolte de la jeunesse contre le consumérisme. Ce n'était qu'un des visages de 68, et au lieu de l’avènement de l’esprit espéré par Clavel, on eut la libération des instincts.

Le génie de Mitterrand consista à profiter d'une évolution à laquelle il était étranger et allergique, comme en témoigne sa culture terrienne, provinciale, secrète, droitière, à rebours de la vie en rose et festive rêvée par les quadras de l'époque. Philippe Muray (1945-2006) disait que si « la transparence tue, l’opacité conserve ». Mitterrand joua si bien sur sa stature de sphinx que, face à la mutation rapide des mœurs, il réussit à incarner le père de la nation et le repère de son temps.

Cette transformation du système de valeurs issue des sixties, de Gaulle n'y adhérait pas non plus. Mais le général avait déjà déverrouillé la machine à jouir avec la loi sur la contraception (1967), « conquête » dont le Dr Pierre Simon raconte les secrets dans La vie avant toute chose (Mazarine, 1979). À coup de jeunisme, Giscard huila ensuite les rouages de la nouvelle société, la cala sur son socle législatif, en vue d’un usage industriel de la jouissance. Des films comme les Valseuses (1974) et les Bronzés (1978) illustrent si bien cette période. Quant à Mitterrand, il ferait tourner la machine du divertissement à un niveau institutionnel et médiatique. Le 10 mai 1981 advint la libération de la parole – les radios libres – dans une France qui sentait « le renfermé », selon Serge July, mémoire de Libé. L’abolition de la peine de mort nous sortirait de l’histoire tragique. La 5e semaine de congés payés inaugurerait l'ère du loisir. La culture Lang transformerait les espaces en fête perpétuelle. Canal + (1984) révolutionnerait la TV. « Changer la vie », c’était donc ça : jouir sans entrave.

De son côté, la bourgeoisie conservatrice ne comprit rien à ce mouvement de fond. Terrifiée à l’idée de voir les chars soviétiques à Paris, elle songeait à s’exiler ! Á cette époque, le PCF n’était pas seulement à gauche mais à l’est et l'arrivée de quatre ministres communistes, après les législatives (juin), la ferait paniquer. L’URSS préparait une invasion. Ce serait bientôt l’état d’urgence en Pologne (décembre). Quant à Brejnev, ses troupes déferlaient sur l’Afghanistan. L’attaque contre l’école privée renforcerait le tropisme libéral de la droite et canaliserait son aigreur contre la dictature socialiste que les nationalisations industrielles et bancaires (1982) laissaient présager. Tout cela empêchait la droite de voir que la révolution ne se ferait pas en chapka mais en chemise californienne. Le temps viendrait où la dérégulation des marchés financiers promue par le duo Reagan/Thatcher allait l'inonder d'argent. Les années 80 seraient celles des fortunes en bourse et de l’irrésistible montée des intérêts privés. Jouir, encore et toujours.

Pour résumer, si les cathos de gauche s’étaient trompés de combat, les cathos de droite s’étaient trompés de menace.
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Anniversaire de l'élection de François Mitterrand : des catholiques de gauche et de droite racontent leur 10 mai 1981
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