Dans les yeux d'Alain Delon
Alain Delon a vécu une enfance difficile. Les blessures émotionnelles ont rythmé sa vie de jeune garçon, une enfance teintée de solitude. Né au milieu des années 30, Alain Delon est le trésor de sa mère Edith. Le bonheur du petit Alain est cependant de courte durée, il a seulement 4 ans quand ses parents divorcent. Un événement, qui a marqué profondément sa vie de jeune garçon, car peu de temps après, son père part, laissant une blessure éternelle dans le cœur d'Alain. Sa mère se remarie, et confie son jeune fils à une nourrice, l'épouse d'un gardien de prison. Dans sa nouvelle famille, il grandit dans l'enceinte de la prison de Fresne, dans la solitude. Orphelin de son père puis de sa mère, Alain Delon analyse son enfance en avouant : « Il est certain que j'ai bien eu une enfance malheureuse » ; mais ajoute-t-il : « Cette période a été comme un apprentissage de la vie. »
Après cette enfance troublée, Alain Delon prend son envol et se retrouve livré à lui-même. Après plusieurs années d'errance, entre la charcuterie et un engagement militaire dans la marine, il entrera enfin dans un nouveau monde qui deviendra le sien : le cinéma. Le banlieusard de Bourg-la-Reine arrive à Paris, en 1956 : « J'avais envie de liberté. ». Cette liberté, il la vit en solitaire, sans un sous, tentant de subvenir à ses besoins. Il s'installe boulevard Rochechouart : « J'ai attiré tout un tas de jeunes dames du coin qui étaient désireuses de m'aider, y compris à vivre et à manger, ce qui n'était pas déplaisant quand on a 21 ans. ». Une vie de bohème et de voyou, qu'Alain Delon a incarné plusieurs fois à l'écran : Borsalino (1970), Le Clan des Siciliens (1969), ou encore Mélodie en sous-sol (1963). Arrivé dans le cinéma grâce au mari de sa première maîtresse, Edwige Feuillère, Alain Delon entame une carrière prometteuse, au cours de laquelle son charme fera sa renommée. Insatiable et passionné, il enchaîne les films et les succès. Il mène une vie d'artiste, au gré des aventures amoureuses. Cependant, même s'il veut rompre avec son héritage familial, il semble chercher sa mère à travers ses conquêtes. Nathalie, par exemple, sa première épouse, ressemble étrangement à Edith. En réalité, Delon n'a jamais véritablement coupé le lien avec sa mère, qui vouait à son fils un amour étouffant, presque possessif. Il dira : « Elle était devenue groupie et non plus mère » .
Avec Nathalie, Alain Delon découvre la paternité, lorsqu'elle donne naissance à son fils Anthony. Cette nouvelle bouleverse sa vie de jeune homme insouciant : « Avant, rien ne m'effrayait, rien ne pouvait me surprendre, rien ne pouvait m'arriver, dans le fond je vivais un peu égoïste ; je vivais pour moi et pour moi seul et tout m'était égal. Alors que maintenant c'est différent, j'ai un but précis, tout est en fonction de mon foyer, de ma femme et mon enfant. ». Construire une famille et la chérir, c'est un modèle que l'acteur n'a pourtant jamais vraiment connu. Lui qui avait vécu comme un drame le divorce de ses parents, il se sépare de Nathalie lorsque Anthony Delon a 4 ans. Le schéma familial se reproduit. Un aveu d'échec.
Il interprètera ensuite souvent des personnages tristes et tourmentés, marqués par la mélancolie et la solitude. Dans Le Samouraï (1967), il incarne un tueur à gages solitaire et impassible, isolé et marqué par une profonde tristesse : « Le Samouraï c'est moi, mais de manière inconsciente », disait-il. Lui, qui rêvait de devenir grand producteur et interprète, voit certains de ses espoirs déçus, comme pour son film Mr Klein (1976), qui ne lui apportera pas le prix d'interprétation dont il rêvait. Il en vient à penser que le monde du cinéma est ligué contre lui. L'animal blessé panse ses plaies, dans son immense propriété de Douchy, avec ses 15 à 25 chiens, qui lui tiennent compagnie. La mort brutale de son ancienne fiancée Romy Schneider, le 29 mai 1982, plongera l'acteur dans une mélancolie nouvelle, qu'il met en scène dans Un amour de Swann (1984).
L'icône du cinéma français met progressivement un terme à sa carrière dans les années 2000. Après des décennies marquées par des rôles emblématiques, l'acteur choisit de se retirer, en évoquant sa lassitude du métier. Son dernier grand rôle au cinéma remonte à 2008 dans Astérix aux Jeux Olympiques, où il incarne un Jules César mémorable. Dans sa dernière réplique, il se moque de lui-même : « César ne vieillit pas, César mûrit. César ne tombe pas, César trébuche. César ne se soumet pas, César dompte. ». Finalement, qui est véritablement Alain Delon ? Le magnifique ou le mélancolique ? Peut-être beaucoup des deux à la fois. Dans une de ses interviews, il se confie : « J'ai été placé sur une orbite, il faut que j'y reste et que j'y sois. ». Lui, érigé en demi-dieu par l'opinion publique, semble avoir maîtrisé l'art de la réussite. Dans sa dernière interview, Alain parle de lui à la troisième personne, soulignant que sa vie de star n'était qu'une immense mise en scène à laquelle il avait accepté de se prêter : « Dans le fond, Alain Delon sera toujours celui qui était à Fresne », avoue-t-il. Quoi qu'il en soit, Delon a bâti un règne dans le monde du cinéma, un règne légendaire.