Avec son look vulgos à la Steven Marchand – l'odieux patron à la queue de cheval dans Les Trois frères – Xavier Niel ressemble à ces parvenus se croyant tout permis parce qu'ils sont plein de fric. Enviés pour leur réussite, on daube sur eux pour leurs manières. Né à Créteil, le hacker au physique de crooner fait tache sous les lambris des palais vernissés de l'oligarchie, même si son empire immobilier possède de fort belles adresses. La 10e fortune de France répugne aux mœurs feutrées. Joue-t-il de ce côté « rentre dedans » ? Xavier Niel ne fait guère usage de cette arme de discrétion massive qu'affectionne le monde des affaires. Dans l'article mis en référence, long et déjà vieux portrait du Monde (dont il est actionnaire), Jérôme Fenoglio, patron du journal, rappelle à un moment que « pour se rassurer, le Tout-Paris [dressa] la liste des signes de la gentrification de Xavier Niel ». Jadis, on adoubait un chevalier pour son courage ; maintenant il faut acheter de l'art contemporain pour en être… Sans doute, l'escalade sociale a-t-elle été plus rude pour lui que son ascension économique.

Xavier Niel a un côté clash et trash. Comme son passé – qu'Elon Musk s'est plu à rappeler pour l'esquinter : oui, il a été condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis en 2006 pour une histoire de peep-show. Oui, le « pirate informaticien » a bien fait fortune dans le Minitel rose, à 24 ans, en siphonnant les listings de France Télécom. Mais Musk est allé trop loin en le traitant de « proxénète », se gardant bien de dire que l'autodidacte avait alors bénéficié d'un non-lieu après sa détention provisoire d'un mois en 2004. L'homme le plus riche du monde s'est montré plutôt unfair dans cette altercation médiatique. Qu'importe. Xavier Niel ne cherche pas à être quelqu'un d'autre quand, après s'être donné en spectacle à l'Olympia, il titre son bouquin comme un juron : le voilà qu'il a Une sacrée envie de foutre le bordel (Flammarion, 2024) !

En fait, c'est cela qui est intéressant. Car il est question d'un bordel qui permettrait à la France de déverticaliser le pouvoir qui l'atrophie. Xavier Niel est disruptif, comme on dit aujourd'hui : en 2002, il est le premier sur terre à proposer un seul boîtier pour Internet (téléphone + télévision). Surtout, en 2013, il lance et prend à sa charge exclusive l'école 42, ovni pédagogique parisien gratuit, en rupture avec toutes les routines des cursus académiques.

Pourquoi le profil de Xavier Niel intrigue-t-il ? La France serait-elle si fatiguée par ses élites hors-sol qu'il lui faudrait des égoutiers, munis de bottes et de lampes frontales ? Le hobby de Xavier Niel, c'est justement de faire des virées dans les catacombes, de « visiter les dessous d'une ville qu'[il] adore, [et] de voir comment elle fonctionne ». On n'est pas cataphile sans raison. Pour Julien Codorniou, gourou de la tech, ancien de Microsoft et de Facebook, « les hackers sont ceux qui ne vont jamais abandonner, qui vont accumuler les nuits blanches dans l'obsession de trouver (…) une solution au problème qui leur est posé ». Un milliardaire soulevant des plaques d'égout est bien disposé à « comprendre la structure, le modèle économique d'une boîte ». Les hackers « voient dans toutes les dimensions, et cela leur donne un avantage considérable » ajoute-t-il.

Xavier Niel et Elon Musk ont l'art de ne pas se laisser noyer dans la complexité mais de l'affronter et de la vaincre.« Sa grande force, c'est d'être capable de simplifier », dit Nicolas Sadirac, directeur de l'école de programmateurs 42 cité par Le Monde. Xavier Niel y ajoute une « obsession » : « le renouvellement des élites », renchérit Julien Codorniou. Le tycoon « populaire et inclassable » incarnerait un besoin de changer d'ère. « Venu des marges de l'économie », Xavier Niel, loin de tout esprit revanchard, rêve plutôt d'une époque où, note Jérôme Fenoglio, « l'excellence française tiendrait aussi dans une "box", fabriquée par quelques petits génies sans diplôme, et non plus seulement dans des œuvres titanesques, menées par des états-majors d'ingénieurs, comme le TGV ou Airbus ».