Politique
Vivons-nous un moment révolutionnaire ?
On savait que Christophe Castaner n’avait pas l’étoffe d’un premier de cordée. Aujourd’hui le maillon faible du gouvernement dévisse jusqu’à dégringoler « l’Everest de la confiance ». La police ne le considère plus comme le supposé premier flic de France. Or la République ne peut, sans se mettre en péril, laisser une pareille situation s’installer. Ce régime repose depuis toujours sur la puissance publique dont les monarques, à la suite de Philippe Le Bel, avaient patiemment cousu l’uniforme de fer au fil des siècles. En France, le choix du ministre de l’Intérieur n’est jamais anodin : Charles Pasqua ou Pierre Joxe restent d’éminentes figures du pouvoir de leur époque. Ce n’est pas un hasard si la place Beauvau veille sur le palais de l’Élysée. Aussi la phrase d’Yves Lefebvre, secrétaire général de Unité SGP Police, sonne-t-elle comme l’hallali : « Il nous a lâchés lundi, nous a jetés en pâture », tonna le syndicaliste en invitant même ses collègues « à ne plus interpeller, à ne plus intervenir ». Christophe Castaner avait estimé que les manifestations antiracistes « ne sont pas autorisées dans les faits (...) mais [que] l'émotion mondiale, qui est saine sur ce sujet, dépasse au fond les règles juridiques qui s'appliquent ». L’émotion fondait l’exception à la loi – que l’on pouvait désormais ignorer. À l’Assemblée, Édouard Philippe tenta de corriger cette impression calamiteuse et de renouer le dialogue avec les forces de l’ordre. Il eut cette phrase : « Je ne veux pas que la peur change de camp ». Et le Premier ministre mit en garde contre le risque de « basculement de la République ». Rien de moins ! La macronie tente de trouver un point d’équilibre :
1. « L’émotion » de Christophe Castaner vise à ménager la gauche pour ne pas devoir affronter sa frange extrême en plus des Gilets jaunes. Vu l’état de la police, celle-ci ne serait pas apte à combattre sur deux fronts à la rentrée. En amadouant les partisans d’Adama, le pouvoir espère aussi conjurer un Grand soir dans les banlieues.
2. La fermeté incarnée par Édouard Philippe tend à rassurer la droite non-identitaire. Celle-ci voit dans Emmanuel Macron le seul personnage capable d’incarner le parti de l’ordre, donc de préserver ses intérêts.
Clin d’œil de l’Histoire : « Je ne veux pas que la peur change de camp » : cette phrase fut prononcée mercredi 10 juin, jour anniversaire du déclenchement de la Terreur de 1794. Vivons-nous un « moment révolutionnaire » ? La récupération de la mort George Floyd recèle d’ingrédients subversifs et corrosifs. Prenons-en trois succinctement :
- le délire accusatoire : parler de « violences policières » fait penser à la rhétorique dépeignant le roi Louis XVI, pourtant bien débonnaire, comme un tyran sanguinaire et une figure de l’absolutisme dont la liberté devait s'affranchir. Pour gagner, tout révolutionnaire doit sataniser l’ennemi – l’ennemi de classe, l’ennemi de race. L'effet de répulsion doit permettre de « tendre le ressort » de la révolte. L’ennemi est utile car, en fédérant les énergies contre lui, on peut enclencher le système de terreur. 1794 ne fonctionna pas autrement : il y avait des ennemis partout, y compris dans le camp de la Révolution ;
- la confession publique : les révolutionnaires parodient la mécanique intime du christianisme, y compris dans ses errements inquisitoriaux. L’Aveu (1970) de Costa-Gavras reste une œuvre de référence de ce type de folie. C’est une grande perversité que d’inventer des péchés chez ceux que l’on cherche à détruire par haine ou par envie. Mais c’est très efficace. Quand on force des blancs à poser un genou à terre et à professer qu’ils regrettent d’être privilégiés par leur couleur de peau, que certains affirment même qu’ils préféreraient ne pas avoir cette apparence-là, on atteint un stade ultime de la manipulation et de la violence, de cette violence qui essentialisent le visage du mal, qui est une manière de retrouver du commun au dépend d’un bouc-émissaire. Ce genre de rituel humiliant est ni plus ni moins animé d’une pensée génocidaire. Si le blanc est raciste par nature, si le racisme est une injure à l’humanité, alors le blanc n’appartient pas au genre humain et peut être éliminé. En faisant circuler ce syllogisme dans les têtes, les révolutionnaires commencent à armer leurs troupes. Massacrer n’est pas un problème. Ce qui importe, c’est ce qui précède et qui rend le crime moralement juste.
- l’éradication de la mémoire : déboulonner ou vandaliser des statues vise à assassiner l’héritage, les repères, les héros de l’autre et à le rendre captif de nouveaux schémas. Cela s'appelle un viol, tout simplement, que les révolutionnaires érigent en mode de gouvernement. Il est un prélude à l'effacement physique de l'autre.
Ce que nous vivons met le pouvoir au défi. Et les mots de « basculement de la République » prennent un sens auquel Édouard Philippe ne songe peut-être même pas.
1. « L’émotion » de Christophe Castaner vise à ménager la gauche pour ne pas devoir affronter sa frange extrême en plus des Gilets jaunes. Vu l’état de la police, celle-ci ne serait pas apte à combattre sur deux fronts à la rentrée. En amadouant les partisans d’Adama, le pouvoir espère aussi conjurer un Grand soir dans les banlieues.
2. La fermeté incarnée par Édouard Philippe tend à rassurer la droite non-identitaire. Celle-ci voit dans Emmanuel Macron le seul personnage capable d’incarner le parti de l’ordre, donc de préserver ses intérêts.
Clin d’œil de l’Histoire : « Je ne veux pas que la peur change de camp » : cette phrase fut prononcée mercredi 10 juin, jour anniversaire du déclenchement de la Terreur de 1794. Vivons-nous un « moment révolutionnaire » ? La récupération de la mort George Floyd recèle d’ingrédients subversifs et corrosifs. Prenons-en trois succinctement :
- le délire accusatoire : parler de « violences policières » fait penser à la rhétorique dépeignant le roi Louis XVI, pourtant bien débonnaire, comme un tyran sanguinaire et une figure de l’absolutisme dont la liberté devait s'affranchir. Pour gagner, tout révolutionnaire doit sataniser l’ennemi – l’ennemi de classe, l’ennemi de race. L'effet de répulsion doit permettre de « tendre le ressort » de la révolte. L’ennemi est utile car, en fédérant les énergies contre lui, on peut enclencher le système de terreur. 1794 ne fonctionna pas autrement : il y avait des ennemis partout, y compris dans le camp de la Révolution ;
- la confession publique : les révolutionnaires parodient la mécanique intime du christianisme, y compris dans ses errements inquisitoriaux. L’Aveu (1970) de Costa-Gavras reste une œuvre de référence de ce type de folie. C’est une grande perversité que d’inventer des péchés chez ceux que l’on cherche à détruire par haine ou par envie. Mais c’est très efficace. Quand on force des blancs à poser un genou à terre et à professer qu’ils regrettent d’être privilégiés par leur couleur de peau, que certains affirment même qu’ils préféreraient ne pas avoir cette apparence-là, on atteint un stade ultime de la manipulation et de la violence, de cette violence qui essentialisent le visage du mal, qui est une manière de retrouver du commun au dépend d’un bouc-émissaire. Ce genre de rituel humiliant est ni plus ni moins animé d’une pensée génocidaire. Si le blanc est raciste par nature, si le racisme est une injure à l’humanité, alors le blanc n’appartient pas au genre humain et peut être éliminé. En faisant circuler ce syllogisme dans les têtes, les révolutionnaires commencent à armer leurs troupes. Massacrer n’est pas un problème. Ce qui importe, c’est ce qui précède et qui rend le crime moralement juste.
- l’éradication de la mémoire : déboulonner ou vandaliser des statues vise à assassiner l’héritage, les repères, les héros de l’autre et à le rendre captif de nouveaux schémas. Cela s'appelle un viol, tout simplement, que les révolutionnaires érigent en mode de gouvernement. Il est un prélude à l'effacement physique de l'autre.
Ce que nous vivons met le pouvoir au défi. Et les mots de « basculement de la République » prennent un sens auquel Édouard Philippe ne songe peut-être même pas.