Viktor Orban sort le grand jeu : la présidence hongroise du Conseil de l'Union Européenne qui fait trembler Bruxelles
L'Europe vit-elle son « moment Orban » ? Le 1er juillet, la Hongrie a pris la présidence tournante du Conseil de l'UE jusqu'au 31 décembre 2024. Une période de 6 mois attendue avec impatience par Budapest, qui a planifié 1500 réunions et 230 événements liés à la présidence hongroise, et qui a débuté par une grande offensive diplomatique et politique du premier ministre Viktor Orban. Ses activités très médiatisées ne sont pourtant pas au goût de tous, ses détracteurs considérant qu'il fait souvent cavalier seul en essayant de s'arroger un rôle mondial sans commune mesure avec le poids réel de son pays de 10 millions d'habitants.
Les « manœuvres » de Viktor Orban concernent à la fois le fonctionnement interne de l'UE et des visites à l'extérieur. Le 30 juin, la veille du début de la présidence hongroise, Orban a révélé son intention de créer un nouveau groupe au parlement européen, les « Patriotes pour l'Europe », représentant le courant souverainiste de la droite européenne. Avec 84 sièges, les Patriotes constituent le 3ème groupe du parlement, présidé par Jordan Bardella du RN français, qui a rejoint le groupe d'Orban après les élections législatives en France. Ce groupe prend la place de l'ancien bloc « Identité et Démocratie », auquel appartenait les Eurodéputés RN comme ceux de l'AFD allemand, désormais dans un nouveau groupe « L'Europe des Nations Souveraines » (25 eurodéputés). Au sein de la droite souverainiste, Les Patriotes rivalisent avec le bloc CRE (78 sièges), moins eurosceptique et plus favorable à l'Ukraine, dominé par le parti de Georgia Meloni en Italie et celui de l'ancien gouvernement polonais (PiS). Orban essaie clairement de se positionner comme leader de toutes les forces de droite au parlement qui s'opposent fortement à la majorité pro-UE, même si son propre parti, le Fidesz, ne représente que 11 membres dans l'assemblée. Les commentateurs sont divisés quant à l'impact éventuel des Patriotes, devancés de loin par le groupe du centre-droit (PPE, 188 députes) ainsi que par les socialistes et démocrates (S&D, 136 sièges). Ils pourraient néanmoins exercer une certaine influence au parlement par des tactiques d'obstruction sur des questions comme l'aide pour l'Ukraine ou la politique migratoire de l'UE.
Ce sont cependant les voyages diplomatiques de Viktor Orban qui ont provoqué les réactions les plus fortes de ses partenaires européens. Il vient d'entreprendre une « mission pour la paix » en Ukraine, rendant visite à Wolodymyr Zelensky à Kiev, à Vladimir Poutine à Moscou, à Xi Jinping à Pékin et à Donald Trump à Mar-a-Lago en Floride, tout en passant par au sommet de l'OTAN à Washington. Cette tournée d'envergure a déclenché un tollé à Bruxelles, où beaucoup estiment qu'Orban utilise sa visibilité internationale liée la présidence hongroise pour avancer des positions souvent contraires au consensus des autres pays membres de l'UE. Surtout sur la guerre en Ukraine, où Orban se veut médiateur : il dit que la Hongrie est le seul pays capable de parler aux deux côtés, mais dans les faits, en estimant que l'Ukraine n'a aucune chance de réussite sur le terrain et devrait négocier, son point de vue est bien vu par Moscou. A Bruxelles, on souligne qu'Orban agit en son propre nom, n'étant pas responsable pour la politique étrangère européenne, mais Vladimir Poutine n'a pas raté l'occasion de le présenter comme le président du Conseil de l'UE.
Une autre visite qui a provoqué des réactions a été le voyage d'Orban à Choucha en Azerbaïdjan pour un sommet de l'organisation des états turciques, dont la Hongrie est un Etat observateur depuis 2018. Sa présence, dont le Conseil de l'UE n'avait pas été informée auparavant, est le reflet d'un alignement déjà connu : dans le passé, Orban n'a pas manqué d'afficher sa proximité avec le président turc Erdögan et celui de l'Azerbaïdjan Ilham Aliyev. Ce qui a par contre particulièrement irrité les représentants de l'UE était le fait qu'Orban a côtoyé le président Ersin Tatar de l'auto-proclamée « République turque de Chypre-Nord ». Or l'UE ne reconnaît pas l'indépendance de cette partie de Chypre occupée par les forces turques depuis juillet 1974, insistant sur l'intégrité territoriale de l'île (devenue membre de l'UE en 2004).
Viktor Orban risque-t-il des sanctions pour cette « diplomatie parallèle » ? Il a déjà reçu des blâmes de ses partenaires et certains eurodéputés, dont Valérie Hayer , président du groupe « Renew Europe », ont appelé à priver la Hongrie de la présidence du Conseil de l'UE. Ceci semble néanmoins peu probable : malgré certaines provocations, la politique d'Orban suit habilement une ligne de crête. La Hongrie essaie certes de tirer un maximum de profit de sa visibilité, utilisant par exemple le hashtag de la présidence européenne d'une manière ambiguë. Mais Orban teste les limites tout en s'abstenant de franchir une ligne rouge. Ecrivant sur X, son directeur politique a demandé avec ironie au sujet de son voyage à Moscou : « Sommes-nous autorisés à dîner ou avons-nous également besoin d'un mandat du Conseil européen pour cela ? » L'avenir dira si cette danse hongroise originale continuera à être tolérée à Bruxelles jusqu'au 31 décembre...