Victoire de Tusk en Pologne : un Donald peut en cacher un autre
Musk et Tusk : seule l'initiale les sépare et pourtant les deux hommes semblent se croiser dans le corridor de l'Union européenne. Le premier se dirigerait vers la sortie ; le second veut aller plus loin que l'antichambre.
Commençons par Elon Musk. Au printemps 2022, Thierry Breton, avocat d'une Europe souveraine, s'était rendu à San Francisco pour expliquer au nouveau propriétaire de Twitter (rebaptisé X) les règles qu'il devra respecter dans l'UE. « Nous sommes sur la même longueur d'onde », avait lancé le milliardaire américain, au côté du commissaire européen, tout sourire. Une scène devenue virale. Sauf que depuis la guerre Israël/Hamas, Bruxelles a ouvert une « enquête plus approfondie », une enquête contre X, jugeant que Musk ne modère pas assez son réseau. La sanction le menace, jusqu'à 6 % du chiffre d'affaires. La législation (DSA et DMA) destinée à discipliner les géants du numérique est la grande cause de Thierry Breton.
Ce deuxième choix d'Emmanuel Macron, après l'échec de Sylvie Goulard, veut en finir avec les abus de position dominante de la Big Tech et le laisser-faire dans la diffusion de contenus illégaux. « L'internet ne peut rester un Far West », explique le nouveau shérif du web. Qu'à cela ne tienne ! Si l'UE me fait du tracas, je fermerai Twitter en Europe, aurait répondu en substance Elon Musk, si l'on en juge par les révélations du Business Insider. Après tout, le Vieux Continent ne représente que 9 % des 400 millions d'utilisateurs actifs mensuels du réseau social. L'ironie, c'est qu'Elon Musk fut victime d'une infox : « Encore un Business Insider totalement faux », s'écria-t-il hier dans un tweet. Musk ne veut pas quitter l'Europe.
Donald Tusk à présent (prononcé « tousk » en polonais) : là aussi, la désinformation n'est pas loin quand des media surinterprètent la victoire de l'ex-président du Conseil européen, sorte de Draghi de la Baltique, aux législatives du 15 octobre.
Entendons-nous bien : cette victoire est nette et sans bavure, impressionnante même. Les régimes dits « illibéraux » du groupe de Visegrad ne peuvent pas se consoler avec le basculement de la Slovaquie et la victoire début octobre de Robert Fico, jugé prorusse. La Pologne est d'un autre gabarit : avec une participation record de 74,38 % – du jamais vu depuis la chute du Mur –, le camp europhile double quasiment son audience par rapport à 2015 (de 5,7 millions à 11 millions de suffrages). Emmenés par le libéral Tusk, la Coalition civique, le parti la Troisième Voie et la Gauche obtiennent plus de 53,52 %. Les trois partis pro-européens disposeront de 248 sièges (sur 460) contre 194 à la formation sortante, Droit et Justice (PiS), et 18 à l'extrême droite.
Autre caractéristique et non des moindres : près de 69 % des jeunes âgés entre 18 et 29 ans sont allés aux urnes, soit une hausse de 12 points comparé aux élections précédentes, il y a quatre ans. Et les deux tiers d'entre eux ont soutenu l'opposition libérale. Le succès de Tusk, 66 ans, est en grande partie dû au vote de personnes ayant moins de la moitié de son âge ! Seuls 14 % des jeunes ont choisi le pouvoir nationaliste. La sécularisation travaille de plus en plus cette vieille nation catholique (LSDJ n°711). Celle-ci va de pair avec les nouvelles mœurs véhiculées par l'influence américaine. Le parapluie US étant aux couleurs de l'arc-en-ciel, le relativisme éthique progresse, comme le prix à payer de la guerre contre l'Ukraine. Ce phénomène place le clergé dans un conflit d'allégeance difficile à surmonter quand il s'agit de distinguer le grand frère américain du pouvoir de ses lobbies. La question des droits LGBT et de l'avortement, rendu très restrictif par le PiS, risque de réveiller les passions.
N'exagérons pas non plus le tsunami libéral. La victoire des europhiles aux dépens des nationalistes est surtout liée à la guerre en Ukraine, et à la volonté des Polonais de s'amarrer davantage au vaisseau atlantiste et, par la même occasion, d'en finir avec le chantage aux subventions pratiqué par l'UE qui accusait le PiS de ne pas respecter l'État de droit, de noyauter les institutions, la justice en particulier, via des nominations partisanes. Cette alternance va sans doute donner des gages à Bruxelles afin de libérer le tiroir-caisse.
Par ailleurs, Donald Tusk joua les Donald Trump sur le dossier hypersensible des migrants, ce qui lui permit d'élargir sa base. Comme l'écrit le site Euractiv, « M. Tusk a surpris en adoptant un ton particulièrement dur sur cette question. (…) En juillet, il a publié une vidéo dans laquelle il reprochait au PiS de laisser entrer des milliers de migrants "en provenance de pays islamiques" (sic). Dans cette même vidéo, il dit s'opposer au programme de relocalisation européen, qu'il considère comme une menace pour la sécurité de la Pologne. "Le peuple polonais doit reprendre le contrôle de son pays et de ses frontières", indique le titre de la vidéo. » C'est l'ancien « patron » de l'UE qui le dit.