Victoire électorale de Donald Trump : les parieurs ont pris le pas sur les sondeurs
« L'une des élections les plus serrées de l'histoire américaine » … Voilà ce que les grands médias occidentaux ont répété pendant les dernières semaines précédant le scrutin. On connait le dénouement : un raz-de-marée trumpiste. Il ne s'agit en effet pas seulement de la présidence (Donald Trump sera intronisé au début du mois de janvier 2025), mais aussi des deux chambres du Congrès qui passent du côté républicain. Les sondeurs se sont donc (encore) lourdement trompés. On pouvait néanmoins penser que « l'effet Trump » avait été pris en compte après la surprise de 2016. Il n'en a rien été car Donald Trump a aussi largement remporté le vote populaire : près de 5 millions de plus que Kamala Harris. De nouveaux acteurs ont fait une entrée fracassante : les sites de paris. Plusieurs semaines avant l'élection, les principaux d'entre eux ont donné un avantage net à Donald Trump. Le plus important – Polymarket – a même réussi à prédire les résultats à l'échelle des États !
Quelques médias se sont interrogés sur ce phénomène avant l'élection car les volumes d'argent sont devenus considérables (voir l'article de The New Yorker). Plus de 500 millions de dollars ont été mis sur la table lors de l'élection de 2020. Cette fois-ci, Polymarket déclarait la bagatelle de 2,3 milliards de dollars misés deux semaines avant le scrutin. Et le degré de fiabilité est très élevé ! Entre 2016 et 2022, ElectionBettingOdds a suivi 807 candidats américains : ceux qui avaient entre 70% et 80% de chance de gagner ont remporté leur élection 75% des fois. Les sondeurs sont - eux - confrontés à des incertitudes et des travers nombreux : les indécis qui ne sont pas certains de leur vote jusqu'au dernier moment, ceux dont l'avis sur le résultat fluctue et influe sur leur participation et leur vote, et la fiabilité des échantillons enfin. Dans le cas américain, il apparait clairement que le « vote Trump » a été largement sous-estimé. Les sondeurs prennent en compte des critères socio-économiques objectifs mais – dans la réalité – les militants démocrates sont les plus prompts à répondre. Sans compter l'effet toxique de la multiplicité des sondages qui tendent à convaincre sondeurs et sondés qu'ils sont dans le vrai …
Le site de Polymarket est comparable à une bourse où les événements remplacent les actions. Il donne accès à une multitude d'événements : on pouvait parier sur le résultat de l'élection présidentielle, sur la politique de la Réserve Fédérale concernant les taux d'intérêt ou encore sur la stabilité de la relation entretenue par la chanteuse Taylor Swift avec son nouveau « boyfriend ». Jusqu'au début du mois d'octobre 2024, les parieurs donnaient à Kamala Harris et Donald Trump une chance quasi-égale (un peu moins de 50% à chacun). Près de 2 semaines après, Trump se voyait crédité de 64% de chance de l'emporter par Polymarket : 64 cents pariés sur Trump pouvaient rapporter alors 1 dollar. A priori, on peut exprimer de très sérieux doutes sur la solidité du système de paris : si Polymarket comptait 250 000 parieurs actifs en octobre, leur représentativité paraît faible : les paris se font en cryptomonnaie et intéressent donc une population spécifique. Plus encore, l'intervention de « baleines » (les parieurs mettant de grosses sommes) a fait gonfler la cote de Trump. Un mystérieux Fredi9999 – et d'autres comptes qui semblent liés à lui – ont commencé à miser sur Trump dès juin jusqu'à mettre plus de 43 millions de dollars sur la table. Précisons que parier sur Polymarket est illégal aux États-Unis depuis 2022 et la société a dû s'acquitter d'une amende de 1,4 millions de dollars. Si les parieurs américains peuvent aisément passer outre en se connectant via un serveur virtuel, il reste que de nombreux étrangers sont autour de la table de jeux. N'est-ce-donc pas un scénario idéal pour manipuler une élection ?
« Pas du tout ! » répond Shayne Coplan, le jeune patron de Polymarket. Dans un monde où fusent informations et désinformations de toutes parts, la capacité à prendre un risque financier est le facteur le plus stable pour prédire un résultat selon lui. Une foule de parieurs est bien plus fiable qu'un politologue corseté de certitudes ou encore qu'un échantillon de sondés bombardés d'informations. C'est une vision ultra-libérale qui laisse une place de marché financier prédire un résultat. La méthodologie : c'est du « peer to peer » c'est-à-dire qu'à chaque pari en faveur de Trump doit correspondre un pari pour Harris. Le poids du risque financier en faveur de Trump par rapport à son adversaire est le déterminant. Coplan le répète : les opinions politiques des parieurs ne pèsent rien par rapport au gain potentiel et au risque pris. Si les mises sur l'option Harris demeurent faibles malgré l'attrait d'un gain très élevé du fait de sa cote négative, c'est que son éventuelle victoire est jugée trop peu probable. En l'occurrence, les autorités françaises enquêtent sur Fredi9999 car il serait français et aurait empoché une belle fortune … C'est une révolution qui s'amorce : les parieurs remplacent les sondeurs comme les réseaux sociaux remplacent les grands médias (« You are the media ! » s'est exclamé Elon Musk sur X...).