Société
Un peu de tenue, quand même !
Il n’y a pas que le visage à masquer, le corps aussi. En 2016, c’était le burkini. Aujourd’hui, ce sont des seins nus sur la plage.
Jeudi dernier, deux gendarmes de Sainte-Marie-la-Mer demandent à trois femmes en « topless » de bien vouloir se rhabiller. Colère et stupeur embrasent les réseaux sociaux au point que la gendarmerie des Pyrénées-Orientales doit se justifier sur Facebook : « Cette action de médiation, écrit-elle, faisait suite à la sollicitation d'une famille de vacanciers qui se disait gênée par la situation du fait de la présence d'enfants. » Mais la polémique enfle, ce qui oblige la hiérarchie à prendre position. Ce qu’elle fait courageusement en désavouant ses agents : sur Twitter, la gendarmerie nationale parle de « la maladresse de deux gendarmes en sécurisation qui ont cru bien faire ». Quant à Gérald Darmanin, il tweete que « c'est sans fondement qu'il a été reproché à deux femmes leur tenue sur la plage. La liberté est un bien précieux. Et il est normal que l'administration reconnaisse ses erreurs. »
Si bronzer seins nus ne constitue plus en France un délit d'exhibition sexuelle, on ne peut pas dire que cette pratique va de soi. La chasse aux nudistes dans Le Gendarme de Saint-Tropez (1964) prouve bien qu’il y a un caractère transgressif à se dévêtir sous les yeux de tous, totalement ou partiellement. Et le temps qui passe n’y change rien. Enlever le haut fait l'objet d'une contravention lorsqu’un arrêté municipal proscrit certaines tenues, comme le string ou le monokini. C’est le cas à Paris-plage, pas à Sainte-Marie-la-Mer. Une question au passage : pourquoi serait-on répressif sur les bords de Seine et laxiste sur le rivage languedocien ? Si la liberté est un « bien précieux », pourquoi Paris ferait-elle exception ?
On peut très bien comprendre que des vacanciers veuillent protéger le regard de leurs enfants. Les seins sont une zone érogène, c’est-à-dire privative ; la plage est un espace public. On ne s’y baigne pas comme dans une salle de bains. Seuls certains milieux « bien élevés » peuvent-ils saisir cette évidence ? Interviewée par les Inrocks, une philosophe féministe analyse les injonctions pesant sur le corps féminin, avec 50 ans de retard... On n’en est plus aux frissons émancipateurs des années soixante. S’il y avait un juste combat féministe, il viserait l’hyper-érotisation et la réification de ce que Molière appelait les « célestes appas ». Le problème, c’est que ce combat serait perçu comme patriarcal, bourgeois et religieux. Peut-on encore promouvoir une bonne éducation élémentaire sans passer pour un catho has been ou un islamiste agressif ? Est-ce réactionnaire et fanatique d'aimer la décence ?
On ne sait pas quelle était l’intention des plaignants. Des Français, même très pudibonds, feraient-ils appel aux gendarmes ? On a du mal à le concevoir. Si les plaignants sont musulmans, leur démarche sera assimilée à une volonté de conquérir l’espace public. Sur les réseaux sociaux, on fustige l’insécurité culturelle avec des phrases telles que « pour le burkini, on ne fait rien mais pour les seins nus on agit. » Ajoutez-y La Liberté guidant le peuple de Delacroix (1830) et tout est dit. Les seins à l’air deviennent iconiques. Mais peut-on comparer la femme dépoitraillée brandissant le drapeau tricolore avec la bimbo fripée dont le cancer du sein va ruiner la sécu ? Ici, la République est accusée de favoriser le communautarisme et de pénaliser les mœurs indigènes (même si Darmanin préfère les seins nus). Du reste, moins de 20% des Françaises de moins de 50 ans enlèvent le haut sur la plage, contre 43% en 1984, selon une récente enquête de l’Ifop. Les jeunes femmes ont peur du harcèlement. Faut-il y voir le signe de cette insécurité culturelle liée à l'immigration ? Sans doute mais pas seulement. Dans une société hyper-érotisée et saturée de pornographie, des seins à l’air n’électrisent plus personne. Tout juste dégoûtent-ils s’ils pendouillent...
L’affaire prend une autre tournure si les plaignants ne sont pas musulmans. On se situe alors sur le terrain de la pudeur, la première de nos libertés. On parle sans cesse des gestes-barrières. Mais s’habiller en est justement un : on ne se couvre pas pour se faire embastiller mais pour ne pas se déshonorer ni violer le regard d’autrui, des plus jeunes en particulier. On prend soin de soi et des autres. Mais dans notre haute culture, il y a beaucoup mieux : en se couvrant, la femme donne de la valeur à ce qu’elle cache. Ainsi la décence préserve-t-elle le mystère tout en suscitant le désir. Il n'y a pas plus érotique qu'une femme naturelle, distinguée et qui ne montre rien... ou si peu.
Jeudi dernier, deux gendarmes de Sainte-Marie-la-Mer demandent à trois femmes en « topless » de bien vouloir se rhabiller. Colère et stupeur embrasent les réseaux sociaux au point que la gendarmerie des Pyrénées-Orientales doit se justifier sur Facebook : « Cette action de médiation, écrit-elle, faisait suite à la sollicitation d'une famille de vacanciers qui se disait gênée par la situation du fait de la présence d'enfants. » Mais la polémique enfle, ce qui oblige la hiérarchie à prendre position. Ce qu’elle fait courageusement en désavouant ses agents : sur Twitter, la gendarmerie nationale parle de « la maladresse de deux gendarmes en sécurisation qui ont cru bien faire ». Quant à Gérald Darmanin, il tweete que « c'est sans fondement qu'il a été reproché à deux femmes leur tenue sur la plage. La liberté est un bien précieux. Et il est normal que l'administration reconnaisse ses erreurs. »
Si bronzer seins nus ne constitue plus en France un délit d'exhibition sexuelle, on ne peut pas dire que cette pratique va de soi. La chasse aux nudistes dans Le Gendarme de Saint-Tropez (1964) prouve bien qu’il y a un caractère transgressif à se dévêtir sous les yeux de tous, totalement ou partiellement. Et le temps qui passe n’y change rien. Enlever le haut fait l'objet d'une contravention lorsqu’un arrêté municipal proscrit certaines tenues, comme le string ou le monokini. C’est le cas à Paris-plage, pas à Sainte-Marie-la-Mer. Une question au passage : pourquoi serait-on répressif sur les bords de Seine et laxiste sur le rivage languedocien ? Si la liberté est un « bien précieux », pourquoi Paris ferait-elle exception ?
On peut très bien comprendre que des vacanciers veuillent protéger le regard de leurs enfants. Les seins sont une zone érogène, c’est-à-dire privative ; la plage est un espace public. On ne s’y baigne pas comme dans une salle de bains. Seuls certains milieux « bien élevés » peuvent-ils saisir cette évidence ? Interviewée par les Inrocks, une philosophe féministe analyse les injonctions pesant sur le corps féminin, avec 50 ans de retard... On n’en est plus aux frissons émancipateurs des années soixante. S’il y avait un juste combat féministe, il viserait l’hyper-érotisation et la réification de ce que Molière appelait les « célestes appas ». Le problème, c’est que ce combat serait perçu comme patriarcal, bourgeois et religieux. Peut-on encore promouvoir une bonne éducation élémentaire sans passer pour un catho has been ou un islamiste agressif ? Est-ce réactionnaire et fanatique d'aimer la décence ?
On ne sait pas quelle était l’intention des plaignants. Des Français, même très pudibonds, feraient-ils appel aux gendarmes ? On a du mal à le concevoir. Si les plaignants sont musulmans, leur démarche sera assimilée à une volonté de conquérir l’espace public. Sur les réseaux sociaux, on fustige l’insécurité culturelle avec des phrases telles que « pour le burkini, on ne fait rien mais pour les seins nus on agit. » Ajoutez-y La Liberté guidant le peuple de Delacroix (1830) et tout est dit. Les seins à l’air deviennent iconiques. Mais peut-on comparer la femme dépoitraillée brandissant le drapeau tricolore avec la bimbo fripée dont le cancer du sein va ruiner la sécu ? Ici, la République est accusée de favoriser le communautarisme et de pénaliser les mœurs indigènes (même si Darmanin préfère les seins nus). Du reste, moins de 20% des Françaises de moins de 50 ans enlèvent le haut sur la plage, contre 43% en 1984, selon une récente enquête de l’Ifop. Les jeunes femmes ont peur du harcèlement. Faut-il y voir le signe de cette insécurité culturelle liée à l'immigration ? Sans doute mais pas seulement. Dans une société hyper-érotisée et saturée de pornographie, des seins à l’air n’électrisent plus personne. Tout juste dégoûtent-ils s’ils pendouillent...
L’affaire prend une autre tournure si les plaignants ne sont pas musulmans. On se situe alors sur le terrain de la pudeur, la première de nos libertés. On parle sans cesse des gestes-barrières. Mais s’habiller en est justement un : on ne se couvre pas pour se faire embastiller mais pour ne pas se déshonorer ni violer le regard d’autrui, des plus jeunes en particulier. On prend soin de soi et des autres. Mais dans notre haute culture, il y a beaucoup mieux : en se couvrant, la femme donne de la valeur à ce qu’elle cache. Ainsi la décence préserve-t-elle le mystère tout en suscitant le désir. Il n'y a pas plus érotique qu'une femme naturelle, distinguée et qui ne montre rien... ou si peu.