International
UE/Pologne : quand le fédéralisme autoritaire piétine le principe de subsidiarité
La proposition de constitution pour l’Union Européenne de 2005 a été rejetée par les citoyens français et néerlandais, suite à des référendums. Ils y voyaient une tentative de soumettre leurs gouvernements nationaux à une fédération d’états européens. Comme nous le savons, le Traité de Lisbonne, faisant fi de ces votes, a repris l’essentiel de la proposition initiale. Les Cassandre de 2005 avaient raison : il s’agissait d’une étape pour construire à terme des « Etats-Unis d’Europe ».
Nous en avons eu la confirmation la semaine dernière avec une décision rendue par la Cour Européenne de Justice qui n’a pas fait beaucoup de bruit hors de Pologne. Le sujet, qui paraît à priori un peu obscur, porte sur le mode de nomination des juges de la Cour Suprême polonaise. Quand on considère le poids de l’appareil judiciaire dans le fonctionnement des démocraties européennes, le sujet revêt une tout autre importance…
De quoi s’agit-il en quelques mots ? Selon la constitution polonaise, les juges de la Cour Suprême sont confirmés par le chef de l’État sur la base des recommandations du KRS (« Conseil Judiciaire National »), composé majoritairement de juges. Jusqu’en 2019, les membres du KRS étaient élus par la magistrature et les candidats malheureux pouvaient faire appel auprès d’une cour administrative. Une autre cour, le Tribunal constitutionnel, a jugé alors que ce fonctionnement n’était pas conforme à la constitution polonaise, amenant le gouvernement à modifier la procédure. Le nouveau mode de nomination des membres du KRS ne repose plus sur la magistrature mais sur le parlement. De plus, les décisions prises par ce dernier sont définitives et n’offrent aucun recours en appel.
L’UE a critiqué cette réforme en dénonçant « un risque clair d’atteinte à l’état de droit ». Cinq candidats non retenus pour rejoindre le KRS ont porté plainte auprès de la Cour Suprême polonaise, qui s’est tournée vers la Cour Européenne de Justice pour demander son avis. Début mars 2021, la réponse était négative et soulignait qu’un tel avis était supérieur à toute règle contenue dans la législation ou même la constitution polonaise. Concrètement, l’UE a demandé au gouvernement polonais et ses magistrats de revenir à l’ancien système de nominations.
Le gouvernement populiste « Loi et Justice » d’Andrezj Duda, détesté par les instances européennes et tous les « progressistes », est évidemment furieux de cette décision. Au-delà de la bataille politique, cet épisode pose un problème fondamental, selon Andrew Tettenborn pour The Spectator (voir article en lien ci-dessous). Alors que l’UE est sensée respecter les états membres et leur droit de gérer leurs constitutions, comment une question relative à la législation polonaise peut-elle être décidée par le droit européen ?
La réponse est, bien sûr, le Traité de Lisbonne. Parmi les principes introduits par sa ratification, on trouve la protection de « l’état de droit » garantie par les cours des états membres. Cela signifie qu’un conflit interne à un pays de l’Union portant sur son système judiciaire peut être arbitré par la Cour Européenne, portant même sur la nomination de juges locaux. La conséquence, dans le cas présent, est que le gouvernement polonais ne peut retirer le pouvoir à ses magistrats pour le confier à son parlement.
Il y a trois motifs d’inquiétude pour les citoyens des états membres de l’UE, quelle que soit leur opinion sur le bien-fondé de la tentative de réforme polonaise, nous dit Andrew Tettenborn.
Tout d’abord, Le Traité de Lisbonne constituait une première étape pour établir l’UE comme un super état fédéral avec sa Cour de Justice dans le rôle d’arbitre du droit constitutionnel des états membres. Le sacro-saint principe de « subsidiarité » apparaît comme une coquille vide. En réalité, l’UE s’arroge des pouvoirs analogues à ceux de la Cour Suprême américaine, lui permettant d’intervenir dans les affaires internes des pays membres pour promouvoir ce qu’elle qualifie de « valeurs européennes ». Il s’agit en fait d’imposer les choix politiques et idéologiques d’une petite élite d’Europe de l’Ouest.
Le second motif d’inquiétude est que la dispute polonaise n’est qu’une étape. La Cour Européenne de Justice peut donc décider d’affaires internes sur la base de concepts vagues et idéologiques inscrits dans le Traité de Lisbonne comme « le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’état de droit et le respect des droits de l’homme ». La justice européenne est tellement indépendante qu’elle peut interpréter les constitutions et lois locales selon ses propres principes.
Quid, enfin, de la liberté des peuples de décider par eux-mêmes ? Comment assurer une adhésion aux principes démocratiques par le plus grand nombre quand des décisions politiques majeures échappent au pouvoir souverain du peuple par le vote ?
« Thank God, le Brexit nous a sauvés de ce piège » semble soupirer Andrew Tettenborn.
Nous en avons eu la confirmation la semaine dernière avec une décision rendue par la Cour Européenne de Justice qui n’a pas fait beaucoup de bruit hors de Pologne. Le sujet, qui paraît à priori un peu obscur, porte sur le mode de nomination des juges de la Cour Suprême polonaise. Quand on considère le poids de l’appareil judiciaire dans le fonctionnement des démocraties européennes, le sujet revêt une tout autre importance…
De quoi s’agit-il en quelques mots ? Selon la constitution polonaise, les juges de la Cour Suprême sont confirmés par le chef de l’État sur la base des recommandations du KRS (« Conseil Judiciaire National »), composé majoritairement de juges. Jusqu’en 2019, les membres du KRS étaient élus par la magistrature et les candidats malheureux pouvaient faire appel auprès d’une cour administrative. Une autre cour, le Tribunal constitutionnel, a jugé alors que ce fonctionnement n’était pas conforme à la constitution polonaise, amenant le gouvernement à modifier la procédure. Le nouveau mode de nomination des membres du KRS ne repose plus sur la magistrature mais sur le parlement. De plus, les décisions prises par ce dernier sont définitives et n’offrent aucun recours en appel.
L’UE a critiqué cette réforme en dénonçant « un risque clair d’atteinte à l’état de droit ». Cinq candidats non retenus pour rejoindre le KRS ont porté plainte auprès de la Cour Suprême polonaise, qui s’est tournée vers la Cour Européenne de Justice pour demander son avis. Début mars 2021, la réponse était négative et soulignait qu’un tel avis était supérieur à toute règle contenue dans la législation ou même la constitution polonaise. Concrètement, l’UE a demandé au gouvernement polonais et ses magistrats de revenir à l’ancien système de nominations.
Le gouvernement populiste « Loi et Justice » d’Andrezj Duda, détesté par les instances européennes et tous les « progressistes », est évidemment furieux de cette décision. Au-delà de la bataille politique, cet épisode pose un problème fondamental, selon Andrew Tettenborn pour The Spectator (voir article en lien ci-dessous). Alors que l’UE est sensée respecter les états membres et leur droit de gérer leurs constitutions, comment une question relative à la législation polonaise peut-elle être décidée par le droit européen ?
La réponse est, bien sûr, le Traité de Lisbonne. Parmi les principes introduits par sa ratification, on trouve la protection de « l’état de droit » garantie par les cours des états membres. Cela signifie qu’un conflit interne à un pays de l’Union portant sur son système judiciaire peut être arbitré par la Cour Européenne, portant même sur la nomination de juges locaux. La conséquence, dans le cas présent, est que le gouvernement polonais ne peut retirer le pouvoir à ses magistrats pour le confier à son parlement.
Il y a trois motifs d’inquiétude pour les citoyens des états membres de l’UE, quelle que soit leur opinion sur le bien-fondé de la tentative de réforme polonaise, nous dit Andrew Tettenborn.
Tout d’abord, Le Traité de Lisbonne constituait une première étape pour établir l’UE comme un super état fédéral avec sa Cour de Justice dans le rôle d’arbitre du droit constitutionnel des états membres. Le sacro-saint principe de « subsidiarité » apparaît comme une coquille vide. En réalité, l’UE s’arroge des pouvoirs analogues à ceux de la Cour Suprême américaine, lui permettant d’intervenir dans les affaires internes des pays membres pour promouvoir ce qu’elle qualifie de « valeurs européennes ». Il s’agit en fait d’imposer les choix politiques et idéologiques d’une petite élite d’Europe de l’Ouest.
Le second motif d’inquiétude est que la dispute polonaise n’est qu’une étape. La Cour Européenne de Justice peut donc décider d’affaires internes sur la base de concepts vagues et idéologiques inscrits dans le Traité de Lisbonne comme « le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’état de droit et le respect des droits de l’homme ». La justice européenne est tellement indépendante qu’elle peut interpréter les constitutions et lois locales selon ses propres principes.
Quid, enfin, de la liberté des peuples de décider par eux-mêmes ? Comment assurer une adhésion aux principes démocratiques par le plus grand nombre quand des décisions politiques majeures échappent au pouvoir souverain du peuple par le vote ?
« Thank God, le Brexit nous a sauvés de ce piège » semble soupirer Andrew Tettenborn.