Sciences

Du Titanic au Titan, le coût de l’arrogance et de l'avidité…

Par Ludovic Lavaucelle. Synthèse n°1943, Publiée le 04/07/2023 - Photo : Handout / OceanGate Expeditions / AFP

Le Titanic a sombré le 15 avril 1912 entraînant la mort de plus de 1500 passagers et membres d’équipage dans les eaux glacées de l’Atlantique Nord. L’explorateur et cinéaste James Cameron a connu un énorme succès en 1997 en racontant l’histoire de cette « Tour de Babel » flottante vaincue par un iceberg. OceanGate a été créée en 2009 par un ingénieur en aéronautique, Stockton Rush. Son ambition était de lancer le tourisme dans les grandes profondeurs tout en appuyant la recherche scientifique. Les premières plongées ont eu lieu en 2017. Le développement d’un submersible révolutionnaire, le Titan, devait assurer célébrité et fortune à son inventeur. Le Titan atteignit l’épave du Titanic en 2021 pour la première fois, puis réitéra en 2022. OceanGate annonçait 18 expéditions à partir de 2023. Ce petit submersible (6,7 mètres de long) était conçu pour transporter 5 passagers. Les clients voulant tenter l’aventure devaient payer 250 000 dollars.

À 9h30, le 18 juin, le PDG de la société et pilote, Stockton Rush, se laissait enfermer dans le petit submersible avec ses clients. Des plongeurs verrouillèrent 17 gros boulons pour que le Titan puisse rejoindre les profondeurs. Shahzada Dawood, richissime Pakistanais passionné par le Titanic et son fils de 19 ans, le milliardaire britannique Hamish Harding et le scientifique et plongeur français, Paul-Henri Nargeolet, spécialiste renommé du Titanic, accompagnaient Stockton Rush. C’était la 38ème descente vers le Titanic pour le Français, une première rêvée pour les autres. La descente jusqu’à l’épave devait durer 2 heures et demie, à la vitesse de 25 mètres par minute.

Chaque quart d’heure le Titan a envoyé un message au centre de contrôle installé sur un navire en surface. Jusqu’à 1 heure 30 mn de plongée. Dans les minutes suivantes, des messages ont fait état d’une alarme concernant la coque et signalé que les ballasts étaient largués pour remonter… Puis ce fut le silence et l’attente anxieuse en surface. Les autorités ont fini par être alertées, enclenchant des recherches fiévreuses. Déjà la marine militaire américaine savait… Ses sonars avaient détecté le bruit d’une implosion. Mais les écoutes sous-marines relèvent du top secret – et il aura fallu 3 jours pour que l’information soit révélée au grand public. On a depuis retrouvé la queue du submersible et des débris au fond de l’océan à proximité du Titanic.

Les langues se délient pour expliquer une telle catastrophe. Le Titan a été conçu pour atteindre une profondeur maximale de 4 000 mètres, une limite dangereusement proche de la profondeur de l’épave du Titanic (3 800 mètres). Et, surtout, le submersible n’avait jamais reçu les certifications officielles… James Cameron l’a expliqué sur CNN (voir la vidéo en lien) : de très nombreux spécialistes avaient averti OceanGate que les matériaux et l’ingénierie révolutionnaire du submersible comportaient trop de risques à grande profondeur. Le fait est qu’on a envoyé plus d’hommes dans l’espace qu’au fond des océans. Cameron lui-même a établi un record en descendant dans la fosse des Mariannes (10,898 m) le 26 mars 2012. Son submersible avait été conçu et certifié dans les règles de l’art et il était seul à bord. Si l’épave du Titanic est à une profondeur plus modeste, la pression de l’eau y est énorme : 9 millions de kg, presqu’une Tour Eiffel. Chaque cm2 de la coque d’un submersible subit une pression de 380 kg. On ne peut donc se permettre aucune improvisation… Or, Stockton Rush lui-même s’enorgueillissait de ne pas respecter les standards de sécurité qu’il voyait comme des freins à l’innovation.

La coque constituée d’un épais cylindre de fibres de carbone entouré de titane, était l’innovation majeure du Titan. La fibre de carbone, extrêmement résistante à la pression, est devenue un matériau phare de l’aéronautique. Elle est bien plus légère, et moins coûteuse que de nombreux métaux comme l’acier ou le titane. Mais elle n’a pas été testée à grande profondeur et le risque de délaminage, un processus d’usure invisible sans analyse rigoureuse, était connu. La fibre de carbone ne plie pas quand elle est compressée, elle risque plutôt de se désintégrer comme du verre. Des dizaines d’experts avaient alerté Stockton Rush, qui s’est contenté de hausser les épaules : il se voyait comme le Elon Musk des profondeurs. Aussi excentrique qu’il soit, Musk a toujours observé les processus de régulation très sérieusement (voir LSDJ 1895). La forme en goutte d’eau du submersible accentuait le risque car moins résistante qu’une sphère qui distribue la pression également sur la coque.

David Lochridge, ancien ingénieur de la Royal Navy avant de rejoindre OceanGate, avait été viré en 2018 par Rush pour s’être inquiété du manque de rigueur des tests de résistance sur le Titan. Le PDG d’OceanGate avait ensuite déclaré qu’il préférait donner la priorité à la « diversité » dans son équipe plutôt qu’à l’expérience… De jeunes stagiaires avaient été embauchés pour concevoir le circuit électrique embarqué.

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James Cameron on “fundamental flaw” in design of Titan submersible
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