International
Tirer des leçons du « désastre afghan »
Les États-Unis se sont donc retirés d’Afghanistan, avec 24 heures d’avance. Partir en cette saison s'est révélé catastrophique, les Afghans ne faisant la guerre qu'en période chaude. Pourquoi Joe Biden n'a-t-il pas choisi une date hivernale ? Dans la panique, l’US Army abandonne au vainqueur un arsenal impressionnant. Au bout du compte, l'empire américain laisse l'image d'une puissance en déclin incapable de sécuriser un aéroport de province, malgré un budget militaire pharaonique.
Désormais, les talibans vont régner à Kaboul, 20 ans après en avoir été chassés par une coalition menée par Washington. En 2001, l’Amérique aurait pu s’arrêter aux représailles des attentats du 11 septembre mais George Bush voulait « reconstruire, démocratiser et développer » l’Afghanistan.
On impute ce désastre à Joe Biden. Certes, il s’en va mais tous ses alliés font de même et il agit comme ses prédécesseurs. Kaboul rappelle Phnom Penh et Saïgon. Des images surgissent, celles de jeunes combattants de « mouvements de libération » paradant sur des chars, éliminant les collabos et chassant les valets de l’impérialisme, Lon Nol au Cambodge ou Duong V?n Minh au Viêt-Nam. Ashraf Ghani, ex-professeur à Berkeley marié à une chrétienne libanaise, les imita sur la route de l’exil.
Seule la Corée échappa au fiasco. La coalition onusienne y réussit à faire barrage à la marée humaine soviéto-chinoise mais n’obtint le statu quo de 1953 qu’au prix d’énormes destructions. Jamais un tel partage de territoire ne put être réédité, le cas de Chypre mis à part.
Revenons au « désastre ». Il est d’abord idéologique. C’est celui des néoconservateurs américains qui, selon Renaud Girard, « croient que leur conception de la démocratie doit l’emporter sur l’idée de paix ». L’anticommunisme fut le carburant du messianisme yankee. Sitôt l’URSS disparue, cet élan se reporta sur des régions du monde dont Washington pouvait facilement triompher sans compromettre ses intérêts. L’Irak et l’Afghanistan devinrent des terrains de chasse et d’expérimentation. Mais rien de bon n’en sortit. Ainsi seules des fraudes massives permirent la réélection de l’ancien président Hamid Karzaï en 2009.
Ce désastre est aussi culturel. Oscar Wilde l’aurait pointé : « Les États-Unis forment un pays (…) passé directement de la barbarie à la décadence, sans jamais avoir connu la civilisation. » Ce serait le drame du Nouveau monde : ne pas civiliser. Contrairement à la Rome antique, l’Amérique ne se couvre pas d’honneur ni de gloire, ignore les peuples qu’elle domine. Tout juste les influence-t-elle par son usine à rêves hollywoodienne. Dans le monde musulman, les expéditions US suscitèrent un extrémisme promouvant une sorte d'idéal de pureté et d’héroïsme représenté par le djihad. Ben Laden l’incarna au plus haut point : même riche, l'homme ne cessa d’être un moudjahid à la Kalachnikov.
Pourquoi tant de peuples se disent-ils que l’Amérique ne leur apporte rien ?
Par contraste avec les folies de l’Allemagne hitlérienne et de la Russie soviétique, l'Oncle Sam saisit un moment de l’histoire pour apparaître comme le gardien du camp du bien. Elle connut son apogée dans l’immédiat après-guerre à travers quelques prouesses, comme celle des Alliés dans l’opération Vittles, le pont aérien de Berlin-Ouest (1948) que Staline avait privé de tout approvisionnement terrestre.
Rien de grand n’advient sans le don de soi. Or la cupidité est si férocement attachée à la culture américaine qu’elle en obscurcit la vraie richesse. Songeons au zèle des missionnaires chrétiens – dont le souvenir et la présence restent un pont, même précaire, avec les peuples dits « du Sud ».
Désastre, le mot vise aussi notre hypocrisie, comme si nous avions été dupes des intentions américaines. Nos élites révèrent tellement le maître qu’elle se leurre à son sujet. Servilité et lucidité ne riment pas. Qui peut croire que l’Amérique voulait réellement développer l’Afghanistan ? La prison de Bagram, le Guantanamo local, restera un symbole d'une forme de bureaucratie policière.
Quand l’URSS pénétra en Afghanistan en 1979, Moscou intervint à la demande du pouvoir communiste, contre le djihadisme, et la Russie s’enquit même de promouvoir le droit des femmes. On connaît la suite : l’Amérique habilla les moudjahidines en « freedom fighters ». Faut-il considérer la défaite de l’URSS comme le premier désastre ?
Le retour des talibans n'est pas surprenant. En février 2020 à Doha, Donald Trump conclut un accord avec les insurgés sans même avoir convié le gouvernement légitime à Kaboul. L’Amérique tournait la page et organisait le passage de relais. Les plus cyniques verront les talibans comme un rempart au chaos, même si les Tadjiks d’Ahmad Massoud jurent de leur résister.
La France va-t-elle tirer les leçons du désastre ? Lionel Jospin et Nicolas Sarkozy y avaient impliqué nos armées. 90 militaires perdirent la vie là-bas. Aujourd’hui, plus encore qu’hier, il est difficile de donner du sens à leur sacrifice quand on voit notre ambassadeur partir avant tout le monde dans le premier avion.
Désormais, les talibans vont régner à Kaboul, 20 ans après en avoir été chassés par une coalition menée par Washington. En 2001, l’Amérique aurait pu s’arrêter aux représailles des attentats du 11 septembre mais George Bush voulait « reconstruire, démocratiser et développer » l’Afghanistan.
On impute ce désastre à Joe Biden. Certes, il s’en va mais tous ses alliés font de même et il agit comme ses prédécesseurs. Kaboul rappelle Phnom Penh et Saïgon. Des images surgissent, celles de jeunes combattants de « mouvements de libération » paradant sur des chars, éliminant les collabos et chassant les valets de l’impérialisme, Lon Nol au Cambodge ou Duong V?n Minh au Viêt-Nam. Ashraf Ghani, ex-professeur à Berkeley marié à une chrétienne libanaise, les imita sur la route de l’exil.
Seule la Corée échappa au fiasco. La coalition onusienne y réussit à faire barrage à la marée humaine soviéto-chinoise mais n’obtint le statu quo de 1953 qu’au prix d’énormes destructions. Jamais un tel partage de territoire ne put être réédité, le cas de Chypre mis à part.
Revenons au « désastre ». Il est d’abord idéologique. C’est celui des néoconservateurs américains qui, selon Renaud Girard, « croient que leur conception de la démocratie doit l’emporter sur l’idée de paix ». L’anticommunisme fut le carburant du messianisme yankee. Sitôt l’URSS disparue, cet élan se reporta sur des régions du monde dont Washington pouvait facilement triompher sans compromettre ses intérêts. L’Irak et l’Afghanistan devinrent des terrains de chasse et d’expérimentation. Mais rien de bon n’en sortit. Ainsi seules des fraudes massives permirent la réélection de l’ancien président Hamid Karzaï en 2009.
Ce désastre est aussi culturel. Oscar Wilde l’aurait pointé : « Les États-Unis forment un pays (…) passé directement de la barbarie à la décadence, sans jamais avoir connu la civilisation. » Ce serait le drame du Nouveau monde : ne pas civiliser. Contrairement à la Rome antique, l’Amérique ne se couvre pas d’honneur ni de gloire, ignore les peuples qu’elle domine. Tout juste les influence-t-elle par son usine à rêves hollywoodienne. Dans le monde musulman, les expéditions US suscitèrent un extrémisme promouvant une sorte d'idéal de pureté et d’héroïsme représenté par le djihad. Ben Laden l’incarna au plus haut point : même riche, l'homme ne cessa d’être un moudjahid à la Kalachnikov.
Pourquoi tant de peuples se disent-ils que l’Amérique ne leur apporte rien ?
Par contraste avec les folies de l’Allemagne hitlérienne et de la Russie soviétique, l'Oncle Sam saisit un moment de l’histoire pour apparaître comme le gardien du camp du bien. Elle connut son apogée dans l’immédiat après-guerre à travers quelques prouesses, comme celle des Alliés dans l’opération Vittles, le pont aérien de Berlin-Ouest (1948) que Staline avait privé de tout approvisionnement terrestre.
Rien de grand n’advient sans le don de soi. Or la cupidité est si férocement attachée à la culture américaine qu’elle en obscurcit la vraie richesse. Songeons au zèle des missionnaires chrétiens – dont le souvenir et la présence restent un pont, même précaire, avec les peuples dits « du Sud ».
Désastre, le mot vise aussi notre hypocrisie, comme si nous avions été dupes des intentions américaines. Nos élites révèrent tellement le maître qu’elle se leurre à son sujet. Servilité et lucidité ne riment pas. Qui peut croire que l’Amérique voulait réellement développer l’Afghanistan ? La prison de Bagram, le Guantanamo local, restera un symbole d'une forme de bureaucratie policière.
Quand l’URSS pénétra en Afghanistan en 1979, Moscou intervint à la demande du pouvoir communiste, contre le djihadisme, et la Russie s’enquit même de promouvoir le droit des femmes. On connaît la suite : l’Amérique habilla les moudjahidines en « freedom fighters ». Faut-il considérer la défaite de l’URSS comme le premier désastre ?
Le retour des talibans n'est pas surprenant. En février 2020 à Doha, Donald Trump conclut un accord avec les insurgés sans même avoir convié le gouvernement légitime à Kaboul. L’Amérique tournait la page et organisait le passage de relais. Les plus cyniques verront les talibans comme un rempart au chaos, même si les Tadjiks d’Ahmad Massoud jurent de leur résister.
La France va-t-elle tirer les leçons du désastre ? Lionel Jospin et Nicolas Sarkozy y avaient impliqué nos armées. 90 militaires perdirent la vie là-bas. Aujourd’hui, plus encore qu’hier, il est difficile de donner du sens à leur sacrifice quand on voit notre ambassadeur partir avant tout le monde dans le premier avion.