La tension monte entre les États-Unis et l'Iran
C'est d'abord l'histoire d'un échec stratégique pour Washington dans cette « drôle de guerre » dont le front s'étend de la Mer Rouge à la Syrie. Alors que l'administration Biden répète depuis 3 ans qu'il s'agit de renouer le dialogue avec Téhéran pour éviter tout conflit ouvert, les États-Unis se retrouvent dans une impasse. La pression monte pour frapper l'Iran directement. 3 militaires américains ont été tués par une frappe iranienne sur la base de Tower 22 située en Jordanie et proche de la frontière syrienne. Depuis le 7 octobre, pas moins de 160 attaques de missiles ou drones ont visé des bases américaines. Sur le front sud, en Mer Rouge, les Houthis continuent de tirer sur des cargos malgré les salves de missiles déjà déclenchées par des navires américains et britanniques. Le pétrolier Marlin Luanda (britannique) a été endommagé vendredi dernier par les rebelles yéménites. Les Houthis ne se limitent pas à des actions au large de leur territoire : un missile de longue portée intercepté le 31 octobre par les Israéliens était de conception iranienne. Les drones en mer Rouge sont eux aussi des copies de modèles iraniens. D'ailleurs, détaille The Spectator (voir en lien), la marine iranienne est présente pour guider les Houthis : le Behshad pour le renseignement a été rejoint par la frégate Alborz. Les salves des Américains et de leurs alliés n'ont visiblement pas découragé les Iraniens qui n'ont jamais été aussi proches de fabriquer leur propre bombe nucléaire. Force est de constater que l'approche « dure » de la présidence Trump (des exportations de pétrole en baisse de 80 %, une monnaie en chute libre) combinée avec des attaques ciblées (comme l'élimination en 2020 de Qasem Soleimani, le patron des Gardes Révolutionnaires) avait mis le régime des mollahs sous pression… Depuis, l'Iran est devenu une réelle puissance régionale avec une grande capacité de nuisance grâce à ses satellites du Hezbollah au Liban et en Syrie et les Houthis au Yémen. Et même plus… Téhéran a su profiter de la guerre en Ukraine pour se rapprocher de Moscou et de Pékin.
Face à cette impasse, la pression monte à Washington pour frapper de manière décisive l'Iran. Si la Maison Blanche maintient sa position officielle de ne pas chercher à déclencher « une nouvelle guerre » - Téhéran a les cartes en main pour accroître son influence au Moyen-Orient. Les missiles tirés par les navires en Mer Rouge sur les Houthis n'ont pas arrêté leurs attaques. Par ailleurs, l'arme la plus puissante pour l'Iran en dehors de ses frontières est le Hezbollah… Chercher à éliminer cette menace est irréaliste : Israël se concentre sur Gaza face au Hamas et veut éviter d'ouvrir un nouveau front. Les Américains ont compris que relancer un conflit en Syrie n'était plus envisageable : il alimenterait directement les terroristes islamistes sunnites et aggraverait la crise migratoire en Europe. Viser les pions régionaux de Téhéran ne peut plus suffire à éliminer la menace. Il s'agit de faire vraiment peur au régime iranien, argumentent les « faucons » américains : cibler massivement le cœur du système en détruisant les infrastructures des Gardiens de la Révolution. Cette stratégie (voir l'article d'un ancien de la CIA pour UnHerd) s'appuie sur le talon d'Achille du régime : même les Gardiens comptent sur la conscription pour près de la moitié de leurs effectifs. Et les mollahs se savent de plus en plus impopulaires auprès de la jeunesse iranienne : ils ne veulent pas prendre le risque d'une guerre ouverte.
Il reste qu'une attaque massive sur des objectifs situés en Iran est peu probable. Ceux qui réclament un coup d'arrêt à l'interventionnisme font valoir leurs arguments (voir l'article de The American Conservative). Les frappes doivent être proportionnelles aux gains – et aux pertes – attendus. Un bombardement donne l'impression d'agir politiquement mais – loin d'être un outil diplomatique – ne fait que conduire à la guerre. En juin 1964, les Américains ont décidé de bombarder des cibles nord-vietnamiennes au Laos en représailles à la perte de deux aéronefs. Il s'agissait de tracer une « ligne claire » avec Hanoï. On connaît la suite… Et ce théâtre d'opérations montre que des bombardements – même massifs – n'abattent pas un ennemi. Les drones offrent à l'Iran et ses supplétifs la possibilité de répondre en ciblant les 57 000 militaires U.S. au Moyen-Orient. Historiquement, les bombardements ont eu l'effet de souder les peuples attaqués en prenant le risque de tuer des personnes innocentes… Il est très peu probable que la Maison Blanche prenne un tel risque – mais la raison première n'est pas humaniste. C'est le prix du pétrole avec les élections qui approchent. Washington a discrètement permis à l'Iran d'augmenter ses exportations de 500 000 barils par jour – un volume record depuis 5 ans. C'est un bénéfice pour Téhéran de 10 milliards de dollars en 2023 – pour garantir une stabilité du prix de l'essence aux États-Unis…