Les services de renseignement israéliens semblent impuissants à retrouver le chef du Hamas, Yahya Sinwar, l'homme dont ils veulent la peau depuis bientôt un an. Connu pour être la tête pensante des attentats du 7 octobre, Sinwar se trouverait probablement à Gaza selon les services israéliens, caché dans l'un des innombrables tunnels qui ont permis la préparation des attaques l'année dernière sans que les Israéliens ne s'en aperçoivent. Pour éviter d'être repéré, il a, selon plusieurs sources, abandonné toute forme d'appareil électronique : aussi bien le téléphone portable que le talkie walkie. Le portable est devenu l'outil de communication le plus risqué pour le Hamas, à cause des moyens déployés par l'armée israélienne pour la localisation ou la prise de contrôle des téléphones à distance. Par ailleurs, l'explosion des talkies walkies truqués du Hezbollah dans la semaine du 16 septembre a montré que ce moyen de communication n'était pas sûr non plus.

Depuis plusieurs mois au moins, Yahya Sinwar communique exclusivement par des messages écrits qu'il diffuse grâce à une chaîne de communication efficace. Selon certains médiateurs, le chef du Hamas fait passer tous ses ordres ou messages par des membres de confiance du Hamas. Ceux-ci les diffusent ensuite à d'autres agents chargés de les transmettre à leurs destinataires. Notons que certains de ces intermédiaires peuvent être des civils. Les messages sont codés, et les systèmes de codes sont différents en fonction des destinataires et des situations. Ces précautions sont aujourd'hui particulièrement nécessaires pour le chef du Hamas : il doit survivre aux techniques de recherche et d'assassinat sophistiquées de l'armée israélienne qui ont déjà causé la mort de plusieurs figures de son groupe, ainsi que du Hezbollah. La dernière en date est celle d'Ahmed Wahbi et d'un autre commandant du Hezbollah, qui planifiaient, selon Tsahal, l'opération « Conquête de la Galilée », pour envahir le nord d'Israël. Les deux hommes étaient cachés à Dahieh, dans la banlieue sud de Beyrouth, au milieu de la population, qui leur servait de bouclier humain. Plus tôt dans l'été, l'ancien chef du Hamas, Ismaël Haniyeh était tué dans son appartement à Téhéran, par l'explosion d'une bombe, qui y était placée depuis deux mois. Enfin, le 30 juillet, un chef militaire clef du Hezbollah, Fouad Chokr, était localisé puis assassiné à Haret Hreik, un quartier de Dahiyeh. Ce dernier se rendait dans un appartement dont l'adresse lui avait été communiquée via un appel téléphonique, dont l'émetteur était sans doute un agent israélien infiltré.

La technique de communication utilisée par Yahya Sinwar est inspirée de celle qu'il a conçue et mise en œuvre à la fin des années 1980, lorsqu'il était détenu dans les prisons israéliennes  — où il a passé plus de vingt ans, entre 1982 et 2011, ndlr. Pendant son incarcération, Sinwar a fondé la police interne du Hamas, le Majd, qui avait pour mission de déceler et de pourchasser les collaborateurs suspects au sein du groupe, d'établir une surveillance dans les prisons israéliennes et de recruter des agents appelés « sawa'ed ». Ceux-ci étaient chargés de distribuer des messages manuscrits codés, d'un bloc de la prison à l'autre. Ils les cachaient dans du pain blanc dont ils roulaient des morceaux en boule qu'ils laissaient sécher et durcir. Cette technique permettait de transporter les messages dans les prisons avec la plus grande discrétion, comme l'explique le livre Son of Hamas (Authentic Media, 2011), publié par Mosab Hassan Yousef, un ancien membre du groupe terroriste, devenu agent israélien. À sa sortie de prison en 2011, Sinwar a commenté les années qu'il y a passé, en affirmant « qu'ils [les Israéliens] ont voulu que la prison soit une tombe pour nous, une machine pour détruire notre volonté, notre détermination et nos corps. Mais grâce à Dieu, grâce à notre foi dans notre cause, nous avons transformé la prison en un sanctuaire de culte et en une académie pour notre étude. » C'est en prison par exemple qu'Ismaël Haniyeh avait appris à parler et à lire l'hébreux, ce qui lui avait permis de lire quotidiennement la presse hébraïque et de devenir le meilleur connaisseur des mentalités israéliennes.

Avant la guerre du 7 octobre, le Hamas avait déjà développé des moyens de communication internes pour contourner la surveillance israélienne, dont un réseau téléphonique filaire pour communiquer dans les tunnels. En 2018, selon le Hamas, Tsahal a mené une opération commando avortée à Gaza pour détruire ce réseau, un épisode qui n'a pas été commenté par Israël. Au début de la guerre, lorsque des médiateurs avaient commencé les négociations pour trouver un accord sur les otages entre Israël et le Hamas, Sinwar communiquait avec eux via son réseau téléphonique interne, en utilisant des codes pour déterminer le jour et l'heure de ses rendez-vous. Le chef du Hamas employait aussi des noms d'individus qu'il avait connus en prison dans les années 1980 pour masquer son identité, toujours selon certains médiateurs. Aujourd'hui, l'un des meilleurs services de renseignement du monde, peine à contrer ces techniques relativement simples.