Tant qu’il y aura des hommes, « Elle » se fera du souci
Société

Tant qu’il y aura des hommes, « Elle » se fera du souci

Par Philippe Oswald. Synthèse n°815, Publiée le 23/11/2019
« Tant qu’il y aura des hommes ». Le titre original de ce roman et du film éponyme (1953) est « From Here to Eternity » (« D’ici à l’éternité »). Mais oserait-on aujourd’hui proposer une telle traduction au public francophone pour présenter ce récit de soldats, au demeurant critique sur l’armée américaine, qui fut un grand succès de librairie et de cinéma (le film a remporté huit Oscars en 1954) ? On peut en douter tant la virilité est mise à l’index par la bien-pensance occidentale contemporaine dont la France fut la principale incubatrice, de Simone de Beauvoir à Bourdieu.

Deux ans après le début de l'affaire Weinstein suivie des mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc, une déferlante d’émissions, de tribunes, livres, podcasts, documentaires ... prend pour cible le sexe qu’on appelait jadis « fort ». Quand des femmes s’expriment publiquement, c’est neuf fois sur dix pour dénoncer les comportements déplacés, les harcèlements, voire les agressions et les viols dont elles ont été victimes de la part d’hommes. Incontestablement, la parole s’est libérée sur les violences subies par les femmes comme sur les crimes pédophiles dont nul ne conteste la réalité. Mais le diagnostic dominant qui attribue de tels comportements aux « stéréotypes de genre » et au « mythe de la virilité » sans jamais évoquer les conséquences de la « révolution sexuelle » de mai 68 avec son fameux « interdit d’interdire », mérite pour le moins un examen critique.

Toutefois la traque de la masculinité réserve parfois des surprises. Le magazine ultra-féministe « Elle » vient d’en avoir plusieurs avec le sondage qu’il (c’est-à-dire « Elle ») a commandé à l’IFOP et publié dans son numéro du 14 novembre sous le titre : « Où en sont les hommes ? ». Le but était de savoir si l’homme de la rue, le mâle, avait été impacté par les « bourdieuseries » assénées par les intellectuels et les médias au point de « s'affranchir des clichés masculins, des injonctions de virilité » et de modifier en conséquence ses comportements. Or, patatras ! Il apparaît aux rédactrices navrées que la pratique ne suit pas l’apparent « déclin des représentations archaïques liées au masculin ». Les réponses des hommes interrogés dénotent une fâcheuse tendance à se comporter comme des mâles … mal élevés « dès qu'il s'agit de séduction, de sexualité et de consentement, notamment, et c'est une surprise, chez les hommes les plus jeunes. » Dame ! (si l’on ose dire…)

A l’heure du porno omni présent, accessible sur smartphone à des prépubères, faut-il vraiment s’étonner de comportements peu civils des plus jeunes et parfois de leurs aînés ? Mais ce qui perturbe surtout « Elle », c’est l’effet des campagnes du type #MeToo et #BalanceTonPorc sur les hommes : une majorité déplore l’impact négatif de #MeToo dans les rapports de séduction, 69 % estimant qu'ils « ne peuvent plus draguer les femmes aussi facilement qu'avant ». De fait, seulement 37 % des hommes interrogés, tous âges confondus, notent une amélioration des relations entre eux et les femmes, tandis que 39 % penchent pour une dégradation. Plus grave, les jeunes sont nettement en retrait : « Seuls 19 % des 25-34 ans pensent que les relations femmes-hommes se sont améliorées depuis #MeToo ». Ce que François Kraus, directeur du pôle 'Genre, sexualités et santé sexuelle' à l'institut Ifop, tente d’expliquer ainsi : « Au moment de l'entrée dans l'âge adulte et dans la vie sexuelle, on se raccroche sans doute plus à son identité de genre pour s'affirmer », en particulier, ajoute-t-il, dans les milieux populaires où « cette population jeune n'a sans doute pas la maturité nécessaire pour déconstruire les normes de la masculinité ». Les « milieux populaires » apprécieront … L’idée que ces jeunes hommes puissent être davantage titillés pas leurs hormones que par leur « identité de genre », dont ils ne voient pas pourquoi ils devraient la « déconstruire », ne semble pas effleurer cet expert. A moins qu’évoquer une réalité naturelle aussi triviale que la testostérone n’appartienne à un « naturalisme » d’un autre âge …

Mais une surprise encore plus désagréable attendait « Elle » avec les réponses émanant, non des « milieux populaires » dans leur globalité, mais de musulmans interrogés par l’IFOP : 73 % déclarent qu’on assume sa masculinité en étant un « homme autoritaire », contre 50 % chez l’ensemble des hommes interrogés ; 28 % auraient embrassé une femme qui ne le désirait pas vraiment (contre 15 % pour l’ensemble) ; 21 % auraient eu un rapport sexuel alors que la femme ne le désirait pas ; pire, 18 % à l’aurait imposé (contre respectivement 12 % et 7 % pour l’ensemble des hommes interrogés). Jugeant sans doute ces résultats trop « incorrects », les journalistes de « Elle » ont préféré ne pas les commenter. D’autres s’en étant néanmoins chargés, le magazine s’en est indigné en arguant qu’ « en raison de la faiblesse des effectifs » [une quarantaine de musulmans interrogés], ces résultats « ne sauraient donc en aucun cas être repris ni par nous, ni par d’autres médias répondant à une exigence journalistique. » Soit. On espère que « Elle » étendra cette « exigence journalistique » à des idées en vogue, telle la « théorie du genre » (« gender studies »), dont l’un des propagateurs, l’historien canadien Christopher Dummitt, vient de reconnaître avoir falsifié certaines conclusions afin de « favoriser sa vision idéologique ».
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